CIR : Dépenses de personnel et de veille technologique

Le 3 juin 2021

Les juges de la Haute Assemblée ont récemment proposé des précisions sur plusieurs points de valorisation propres au Crédit d’Impôt Recherche (cf. Conseil d’État du 19 mai 2021, 432370). Plus précisément, ils se sont intéressés aux dépenses de personnel, ainsi qu’aux dépenses de veille technologique prenant, au passage, un peu de distance par rapport aux précisions doctrinales en vigueur.

1.    Méthodologie de détermination des temps R&D (dépenses de personnel).

Méthodologie appliquée aux dépenses de personnel

Le premier point intéressant, mais défavorable au contribuable, concerne la méthodologie de détermination des temps R&D. Pour mémoire, la doctrine administrative indique:

“(…) dès lors que le personnel de recherche est directement et exclusivement affecté aux opérations de recherche, les rémunérations afférentes à ce personnel sont intégralement prises en compte pour la détermination du CIR, y compris le montant total des indemnités de congés payés versé à ce personnel, sous réserve du respect des autres conditions d’éligibilité prévues à l’article 244 quater B du CGI.

Lorsque le personnel de recherche est affecté à temps partiel aux opérations de recherche, les rémunérations y compris les indemnités de congés payés, versées à ce personnel sont prises en compte pour la détermination du CIR au prorata du temps effectivement consacré à ces opérations (temps réellement et exclusivement passé à la réalisation d’opérations de recherche), toute détermination forfaitaire étant exclue (…) » (cf. BOI-BIC-RICI-10-10-20-20).

Arrêt du Conseil d’Etat

Dans l’arrêt du Conseil d’État, les juges donnent étonnamment raison à l’Administration fiscale, lorsqu’elle plafonne forfaitairement à 85% le taux d’implication R&D des chercheurs et techniciens de l’entreprise. En effet, ils considèrent que :

“(…) en jugeant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les tableaux de répartition du temps de travail produits par la requérante ne détaillaient pas le contenu exact des missions réalisées par les salariés et ne permettaient pas, en l’absence de tout élément complémentaire, d’apprécier si l’ensemble des tâches effectuées par les salariés concourait effectivement à la réalisation d’opérations de recherche au sens du b du II de l’article 244 quater B du code général des impôts, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve (…)”.

Impact sur la détermination des temps de R&D

Cette position est plutôt une mauvaise nouvelle pour les entreprises. Il est en effet assez naturel de se poser la question (de la probité/existence) de la référence utilisée par l’Administration fiscale pour fixer un tel plafond. D’autant qu’elle entraine un vrai déséquilibre entre :

  • une Administration fiscale qui détermine les proratas d’affectation R&D des chercheurs et techniciens de recherche de manière forfaitaire. Et notamment, en l’absence de justificatifs qu’elle estime suffisamment probants,
  • et sa propre doctrine qui interdit aux entreprises de déterminer forfaitairement les temps R&D de leurs équipes.

Il convient de noter, cependant, qu’un Tribunal Administratif* a déjà validé la détermination forfaitaire des temps du personnel R&D d’une entreprise. Cela, dès lors que le mode de calcul fait ressortir, avec une précision et une rigueur suffisantes, la part consacrée à la recherche.
* Solution retenue dans le cas d’une PME, par le Tribunal Administratif de Grenoble 22-12-1995 n° 91-400.

2. Cotisations Sociales Obligatoires (CSO)

Les CSO au sens du CIR

Le second point concerne la définition des CSO au sens du CIR. Pour mémoire, la doctrine administrative donne une définition de la CSO et liste à l’inverse les contributions et versements dus par l’employeur, à exclure de l’assiette.

“(…) Par cotisations sociales obligatoires, il faut entendre les cotisations patronales légales ou conventionnelles à caractère obligatoire versées par l’entreprise, assises sur des éléments de rémunération éligibles au crédit d’impôt recherche (CIR) et ouvrant directement droit, au profit des personnels concernés ou leurs ayant-droits, à des prestations et avantages.” (…)

Au contraire,  l’employeur doit exclure les versements suivants :

  • ceux non assis sur des éléments de rémunération éligibles au CIR,
  • ou ceux sans contrepartie directe pour les personnels de recherche concernés.

Versements et contributions exclus du CIR

Ces cotisations et contributions comprennent celles correspondant notamment à des impositions de toute nature, telles que,

« contribution solidarité autonomie et la contribution exceptionnelle associée visées à l’article L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles, les taxes assises sur les salaires (taxe d’apprentissage, participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue et à l’effort de construction, la contribution au développement de l’apprentissage et la contribution supplémentaire à l’apprentissage), la contribution patronale visée à l’article L. 137-13 du CSS, le forfait social prévu à l’article L. 137-15 du CSS, la cotisation au fonds national d’aide au logement en application de l’article L. 834-1 du CSS, le versement transport prévu à l’article L. 2531-2 du code général des collectivités locales».

Figurent également dans cette liste :

« les subventions versées pour le fonctionnement du comité d’entreprise, les contributions au financement des organisations professionnelles et des organisations syndicales, la contribution versée à l’association pour l’emploi des cadres (APEC) prévue par la convention APEC du 18 novembre 1966, les contributions versées à la médecine du travail (C. trav., art. L. 4622-6), la contribution exceptionnelle temporaire (CET) versée à l’AGIRC et visée à l’article 2 de l’annexe III à la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et délibération prises pour son application, la contribution AGEFIPH (C. trav., art. L. 5212-9), la contribution sur les avantages de préretraite prévue à l’article L. 137-10 du CSS (…) » (cf. BOI-BIC-RICI-10-10-20-20).

Précisions des juges apportées à la définition des CSO au sens du CIR : une confirmation

Les premières précisions du Conseil d’État sont fidèles aux positions doctrinales et jurisprudentielles en vigueur. Les juges indiquent ainsi à nouveau que

  • le Fonds national d’aide au logement (FNAL),
  • et la contribution destinée au financement de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC)

ne sont pas des CSO au sens du CIR.

« (…) dès lors que leur versement n’ouvre aucun droit au titre d’un régime de sécurité sociale, (…). La cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en jugeant que la contribution destinée au financement de l’APEC ne pouvait être regardée comme un accessoire de la rémunération (…) ».

Précision des juges apportées à la définition des CSO au sens du CIR : une infirmation

Etonnamment, le Conseil d’Etat précise que la Contribution Exceptionnelle Temporaire (CET) peut être incluse dans l’assiette du CIR. Il considère :

« aux termes de l’article 2 de l’annexe III à la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, dans sa rédaction applicable au litige, telle qu’issue de l’accord du 25 avril 1996, étendu et élargi par arrêté du 30 août 2002 : ” A compter du 1er janvier 1997, toutes les entreprises qui adhèrent à une institution relevant de l’AGIRC doivent verser une contribution exceptionnelle et temporaire (CET), non génératrice de droits, afin de compenser la diminution des cotisations engendrée par la suppression progressive des systèmes de cotisations forfaitaires et garanties et permettre ainsi le financement des droits inscrits au titre de ces systèmes. (…). Cette contribution est répartie entre employeur et salarié de la même façon que la cotisation sur la tranche B des rémunérations versée au régime des cadres ; elle doit être versée dans les mêmes conditions que les cotisations contractuelles (…). Il résulte de ces stipulations que la contribution exceptionnelle et temporaire, qui présente un caractère additionnel à la cotisation principale et constitue, compte tenu de son objet et de son faible montant, un élément de solidarité interne au régime, est au nombre des versements qui conditionnent l’ouverture du droit aux prestations du régime et doit être regardée, alors même qu’elle n’est pas prise en compte pour la détermination des points acquis chaque année par les assurés, comme une cotisation sociale pour l’application de l’article 49 septies I de l’annexe III au code général des impôts (…)».

Cette solution jurisprudentielle est en contradiction directe avec les précisions doctrinales susvisées. Elle laisse ainsi le contribuable dans une situation complexe. Une mise à jour rapide de la doctrine fiscale apparaît nécessaire.

Quid du traitement des nouvelles contributions : la CEG et la CET

Depuis 2019, un nouveau système de cotisations de retraite complémentaire est entré en vigueur. En effet, la fusion AGIRC-ARRCO s’est accompagnée de la création de deux nouvelles contributions d’équilibre :

  • la contribution d’équilibre générale (CEG),
  • puis, la contribution d’équilibre technique (CET).

Ces contributions ne génèrent pas de droit. Il paraît donc intéressant d’analyser dans quelle mesure les conclusions du Conseil d’Etat sur l’ancienne CET pourraient être transposables à ces deux récentes contributions.

3.    Dépenses de veille technologique

Cadrage de l’éligibilité

Enfin, le Conseil d’État termine sa revue du cadre de l’éligibilité financière du CIR en s’intéressant aux dépenses de veille technologique. Les précisions doctrinales en vigueur semblent ici encore un peu en décalage avec la position assez ouverte retenue par les juges administratifs.

En effet, elles indiquent que :

“Sont ainsi éligibles les dépenses d’abonnements à des revues scientifiques, à des bases de données, les dépenses d’achat d’études technologiques, ainsi que les dépenses de participation à des congrès scientifiques, les dépenses de personnel générées par la participation à ces congrès (versements de primes, d’indemnités, etc.) n’étant pas prises en compte lorsqu’elles constituent des dépenses de personnel déjà éligibles au crédit d’impôt recherche (…) » (cf. BOI-BIC-RICI-10-10-20-50).

Position pratique des organes de contrôle avant cette décision

Les organes de contrôle interprètent souvent l’énumération proposée par le Bulletin Officiel des Finances Publiques de manière stricte. Ils autorisent la valorisation de telles dépenses dès lors que

  • celles-ci se rattachent exclusivement à la participation à des événements scientifiques et techniques
  • celles-ci ne sont pas déjà intégrées dans les dépenses de personnel.

Rappelons que le Guide CIR 2018 indiquait notamment :

« (…) En revanche, les dépenses de personnel correspondant à du temps passé en consultation d’Internet ne sont pas éligibles ».

A contrario, dans cette décision, les juges consacrent une définition des dépenses de veille technologique. Cette décision semble pouvoir être interprétée plus largement. En effet, ils indiquent que les dépenses de personnel propres à la veille sont éligibles au CIR, dès lors qu’elles ne sont pas déjà intégrées dans la catégorie des dépenses de personnel :

«La cour a jugé que les dépenses de veille technologique mentionnées au j du II de l’article 244 quater B du code général des impôts ne pouvaient inclure de dépenses de personnel, ces dernières ne pouvant être prises en compte qu’en application du b du même II. En statuant par ces motifs, alors que les dépenses de personnel qui sont exposées au titre de la veille technologique organisée pour la réalisation d’opérations de recherche et qui ne sont pas au nombre des dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche mentionnées au b du II de l’article 244 quater B précité, sont éligibles au crédit d’impôt recherche dans la limite prévue au j du même II, la cour a commis une erreur de droit ».

Position jurisprudentielle

Cette position jurisprudentielle n’est pas complètement nouvelle. Cependant, elle a le mérite de préciser clairement la possibilité d’intégrer dans l’assiette du CIR des dépenses de personnel au titre des dépenses de veille technologique. Et ce, au delà des dépenses liées de manière stricte à la participation à des congrès scientifiques. Attention, la difficulté de la justification de la réalité des temps valorisée est forte. Ainsi, il sera impératif de présenter un suivi de temps probant, précis et exhaustif. Il devra permettre de bien :

  • dissocier les deux typologies de dépenses de recherche,
  • et assurer légitimement les organes de contrôle de l’absence de double valorisation d’une même dépense de recherche dans le CIR de l’entreprise déclarante.

L’autre difficulté fréquemment rencontrée en pratique est celle du rattachement fin de ces dépenses de veille aux projets/opérations R&D retenu(e)s dans le CIR.

CIR dépenses de personnel et de veille technologique 1

Olivia CERVEAU-REYNAUD
Directrice fiscale associée


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