Octobre rose : point sur la recherche et l’innovation dans la lutte contre le cancer du sein

Par Lorette BERTIN, Team Leader –  Consultante en financement de l’innovation

Le mois d’octobre est chaque année l’occasion de sensibiliser la population au dépistage et à la prise en charge du cancer du sein. Initiée aux Etats-Unis, cette campagne a fait sa première apparition en 1994 en France à l’initiative du groupe Estée Lauder.

Le cancer du sein est le cancer féminin le plus diagnostiqué et le plus mortel à ce jour dans le monde. En effet, plus de 60 000 nouveaux cas sont détectés chaque année en France métropolitaine. De plus, ce cancer est responsable de 12 000 décès par an. Cela en fait la première cause de mortalité par cancer chez la femme. Il représente 14% des décès féminins par cancer et 8% de l’ensemble des décès par cancer, tous sexes confondus.

L’impact du dépistage et de la recherche dans la lutte contre le cancer du sein

Les efforts colossaux mis en place pour la sensibilisation et les campagnes de dépistage déployées au cours des dernières années ont permis de détecter de façon précoce ces cancers. Ils ont également amélioré la prise en charge des patientes dès les premiers stades de la maladie. Ainsi, le taux d’incidence a presque doublé entre 1990 et 2018, passant de 29 970 à 58 400 nouveaux cas par an. Entre 2010 et 2023, la progression a été plus faible. Elle est estimée à +0.3%. On constate donc que cette campagne porte ses fruits, permettant de détecter et de mettre en évidence un grand nombre de cancers du sein de façon précoce.

Le cancer du sein évolue le plus souvent sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Dès lors, un dépistage et une prise en charge précoces permettent donc de favoriser les chances de guérison de la patiente. Néanmoins, le taux de mortalité reste important. 12 600 décès ont été comptabilisés en 2021. Entre 2011 et 202, les statistiques montrent une baisse de 1,3%.

Enfin, les traitements anticancéreux restent aujourd’hui des traitements lourds et invalidant pour les patientes. Ils combinent chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, hormonothérapie, thérapies ciblées et/ou immunothérapie.

La recherche et l’innovation jouent donc un rôle prépondérant à plusieurs niveaux.

Elles interviennent dans :

  • dans la compréhension de cette maladie pour faire évoluer positivement la précision du diagnostic,
  • dans la prise en charge de la patiente,
  • dans l’amélioration ou la création des traitement proposés,
  • dans la gestion de la qualité de vie,
  • et dans la survie des patientes in fine.

Dès lors, les axes de recherche dans le cadre de la prise en charge du cancer du sein sont nombreux :

  • Innovation et évolution des outils diagnostics,
  • Développement de traitements innovants,
  • Le cancer, et après ? L’innovation au service de la reconstruction.

Innovation et évolution des outils diagnostics

Le diagnostic est au centre de la prise en charge de la patiente. Cette première étape cruciale permet :

  • l’identification du type de tumeur (localisation, dissémination, profil génétique et histologique),
  • la prise en charge thérapeutique associée,
  • ainsi que l’estimation du pronostic vital.

Les limites des technologies actuelles tentent d’être compensées par une approche pluridisciplinaire, associant l’imagerie médicale, l’anatomopathologie et la génétique.

Il existe différents types de cancers du sein, en fonction du type cellulaire duquel émerge la tumeur. Ils varient aussi en fonction du profil hormonal et de la dissémination de la tumeur. Enfin l’âge de la patiente et ses antécédents familiaux influencent également le développement des cancers. Chaque type de cancer nécessite donc une prise en charge spécifique et la mise en place d’un traitement sur mesure.

L’innovation constante des outils diagnostic permet donc de prescrire un traitement ou une combinaison de traitements personnalisés pour chaque patiente. Cela maximise ses chances de guérison tout en limitant les effets secondaires pouvant impacter lourdement sa qualité de vie.

Imagerie médicale et innovation

L’imagerie médicale joue un rôle prépondérant dans le diagnostic de la maladie, mais également dans le suivi de son évolution. Les techniques d’imageries traditionnelles comportent des limites techniques pouvant impacter le diagnostic, comme :

  • une vision partielle des tumeurs et des métastases,
  • une variabilité due à la position de la patiente ou à la machine utilisée (changement de centre d’imagerie),
  • ou encore les limites de détection de la machine ou de l’œil humain.

Or, des progrès technologiques constants sont réalisés dans le domaine de l’imagerie médicale. Ils permettent d’affiner le niveau de résolution des images acquises, le niveau d’analyse réalisé par les médecins et l’aide à la décision diagnostic.

Médecine nucléaire : des radiotraceurs au service du diagnostic

Un des champs d’innovation porteur d’espoir pour l’évolution du diagnostic du cancer repose sur la médecine nucléaire.

En effet, grâce à des molécules faiblement radioactives appelées « radiotraceurs », la médecine nucléaire permet la détection des tumeurs et des métastases. Les radiotraceurs utilisés jusqu’à présent comprenaient certaines limitent et apportaient parfois de faux résultats positifs. A l’inverse, ils ne permettaient pas toujours de détecter certaines tumeurs ou métastases.

L’une des innovations récentes que nous choisissons de mettre en avant concerne de nouveaux radiotraceurs innovants. Ainsi, le FAPI (Fibroblast Activation Protein Inhibitor) et le FES (fluoro-estradiol), ont été développés. Ils permettraient, selon le type de cancer du sein, de détecter de façon plus fine les tumeurs et les métastases, également de prédire et de suivre l’efficacité d’un traitement. In fine, cette nouvelle technologie permettrait ainsi d’ajuster la prise en charge de façon personnalisée au cours du temps.

Traitement ciblé par radiothérapie interne vectorisée

De plus, la médecine nucléaire est également employée, dans le traitement d’autres types de cancers, pour traiter le cancer de manière précise et localisée. En effet, en couplant un traceur spécifique du microenvironnement tumoral à des molécules capables de détruire ces cellules, le traitement pourrait être délivré de manière précise et spécifique sur les tissus malades. Cette technique, utilisée dans le traitement du cancer de la thyroïde par exemple, est appelée radiothérapie interne vectorisée.

L’intelligence artificielle dans la lutte contre le cancer du sein

L’intelligence artificielle prend aujourd’hui sa place dans de nombreux domaine de recherche. L’oncologie ne fait pas exception.

Plus précisément, de nombreux dispositifs d’imagerie intègrent déjà l’intelligence artificielle. Elle facilite notamment la prise des clichés d’imagerie (adaptation de la capture d’image au positionnement de la patiente, ciblage des zones d’intérêt). Elle est également utilisée comme aide à l’analyse d’image, afin de venir en support des médecins radiologues, notamment pour faciliter l’identification des masses tumorales sur les clichés d’imagerie.

L’intelligence artificielle est également le socle d’un nouvel outil porteur d’espoir : la radiomique. Grâce à l’analyse poussée de nombreux paramètres issus d’images médicales, des modèles de prédiction seront établis. Ils permettront de prédire l’efficacité ou la toxicité d’un traitement, sur le base de clichés de patients.

De la même façon, d’autres projets innovants sont menés, afin d’identifier et d’évaluer des marqueurs pronostiques dans plusieurs types de cancer du sein. Ces marqueurs sont étudiés en fonction des anomalies génétiques ou histologiques constatées à partir de biopsies.

Enfin, des modèles prédictifs intégrant l’ensemble des données prises en compte lors du diagnostic pourront être mis en place. Ils  pourront ainsi assister les médecins dans le choix des traitements, tout en prévoyant la toxicité de ceux-ci de façon personnalisée.

Innovation thérapeutique

Bien que détecté précocement, le cancer du sein reste aujourd’hui la première cause de mortalité par cancer chez la femme en France. Développer de nouveaux traitements efficaces permettant de lutter efficacement contre cette maladie est donc fondamental.

Il existe une grande diversité de cancers du sein. Il est donc nécessaire d’adapter le traitement à chaque patiente. Notons également que les thérapies utilisées actuellement dans le traitement du cancer du sein présentent de lourds effets secondaires. Ceux-ci sont invalidants pour la patiente et peuvent entraîner d’importante séquelles par la suite. L’innovation thérapeutique est donc au cœur de la lutte contre le cancer du sein.

Des modèles d’étude innovants pour favoriser le développement de nouvelles thérapies

Le développement de nouvelles thérapies est long et complexe. Une fois l’identification de molécules thérapeutiques d’intérêts, aussi appelés « candidats médicaments », il est nécessaire d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de ceux-ci avant l’administration à l’Homme.

Les organoïdes cellulaires pour pallier les limites des modèles existants

Historiquement, ces candidats médicaments ont été testés in vitro sur des cellules tumorales en cultures, afin d’évaluer leur efficacité. Néanmoins, ce modèle de culture en deux dimensions ne prend pas en compte la complexité de la structure tumorale en trois dimensions. Il ne considère pas non plus la dynamique cellulaire associée (morphologie, mobilité, expression génique, communication intercellulaire, etc.). Les résultats obtenus in vitro sur ces modèles en deux dimensions ne reflétaient donc pas toujours la réelle efficacité ou toxicité in vivo, freinant ainsi drastiquement le développement de nouvelles thérapies.

Afin de palier à cette problématique, un nouveau type de culture cellulaire innovant en trois dimensions permet aujourd’hui de mimer plus fidèlement la tumeur : les organoïdes.

Ces organoïdes représentent aujourd’hui un modèle robuste pour la sélection de candidats médicaments pertinents dans le traitement du cancer du sein. En effet, des études comparatives entre cultures cellulaires en deux dimensions et en trois dimensions ont permis de mettre en évidence que ces dernières sont plus proches de la physiologie de la tumeur humaine. Des défis de standardisation restent malgré tout à relever, afin de fournir un modèle robuste et reproductif pouvant être utilisé largement dans l’étude préclinique de nouveaux traitements.

Des modèles de résistance pour accélérer les avancées thérapeutiques 

Les études in vitro ne sont pas suffisantes pour démontrer l’efficacité et l’innocuité des candidats médicaments. En effet, la tumeur et/ou les métastases sont intégrées au sein d’un organe et d’un organisme complexe, incluant de très nombreux paramètres (système immunitaire, système vasculaire, environnement cellulaire, système hormonal…). Afin d’évaluer au mieux l’efficacité d’un futur traitement, il est nécessaire de le tester chez un animal modèle dont la biologie est proche de l’Homme. Le modèle murin est le plus souvent utilisé pour sa praticité, mais également pour la bonne connaissance de son génome. Cela permet de reproduire des cancers spontanés semblables à ceux observés chez la femme.

L’un des principaux défis aujourd’hui reste de trouver des alternatives thérapeutiques pour les patients présentant des tumeurs résistantes aux traitements lors d’un premier traitement (résistance primaire) ou lors d’une rechute (résistance secondaire). En effet, la résistance secondaire est fréquente lors d’une rechute, une pression de sélection ayant été appliquées sur la population tumorale lors d’un premier traitement. Ces patients présentent donc peu d’alternatives thérapeutiques, et un taux de mortalité supérieur.

Dans ce cadre, des modèles de résistance ont été développés, permettant de mimer cette résistance primaire ou secondaire à un traitement connu. Ils permettent ainsi de tester des alternatives thérapeutiques ou des combinaisons de traitement, offrant un espoir à ces patients.

Enfin, une fois encore l’intelligence artificielle et les progrès technologiques permettent aujourd’hui de prédire sur la base de nombreux critères, l’efficacité et la toxicité possible d’un traitement. Ces avancées limitent ainsi les expérimentations in vitro et in vivo, et permettent d’accélérer le développement de nouveaux médicaments.

Les études cliniques, une étape nécessaire à l’émergence de nouveaux traitements

Les études cliniques représentent l’étape finale du développement d’un nouveau traitement, avant sa commercialisation.

Ces études cliniques, strictement encadrées au niveau éthique et réglementaire, permettent chaque année à de nombreuses patientes sans alternative thérapeutique d’avoir accès à de nouveaux types de traitement.

En France, ce sont 89 études cliniques qui sont actuellement en cours dans le cadre du traitement du cancer du sein. Ces nouveaux médicaments, s’ils font leurs preuves, pourraient permettre la prise en charge de nombreux cancers de façon plus efficace et personnalisée.

En janvier 2024, le LEEM a publié la 13ème édition de son enquête « Attractivité de la France pour la recherche clinique ».

Cette enquête met en évidence la place importante de l’Europe (3ème rang mondial) et de la France (3ème rang européen, 2ème rang dans le domaine de l’oncologie) dans la recherche clinique. Néanmoins, il est également noté que cette place est menacée, notamment à cause du temps nécessaire en France pour l’initiation d’un essai clinique (160 jours).

Afin de maintenir l’attractivité de la France dans le domaine des essais cliniques, les leviers identifiés (attractivité, réduction du temps d’initiation à 120 jours notamment) doivent être actionnés. C’est l’ambition du plan Innovation France 2030 qui souhaite faire de la France le leader européen en innovation.

Innovation et reconstruction

Le diagnostic et le traitement du cancer du sein sont des enjeux majeurs de santé publique et nécessitent d’importants investissements. Il est néanmoins important de noter que ces étapes de diagnostic et de traitement laissent des séquelles chez les patientes, tant psychiques que physiques. Il est donc fondamental d’innover dans la prise en charge de ces patientes pendant et après leur traitement, afin de leur permettre de retrouver une qualité de vie confortable à l’issue du traitement.

Dans ce cadre, la reconstruction mammaire joue un rôle prépondérant, afin de permettre aux femmes ayant subie une mastectomie de retrouver confiance en elles et d’avancer sur le chemin de la guérison.

Les techniques de reconstruction mammaire

Les techniques de reconstructions mammaire existants aujourd’hui se bases sur plusieurs technologie :

  • Reconstruction mammaire par prothèse. La pose de prothèse est simple et rapide, et ne nécessite pas de prélever un tissu sur une autre partie du corps de la patiente. Néanmoins, le résultat obtenu est figé, une asymétrie entre les deux seins peut apparaitre ce qui nécessite d’opérer le deuxième sein. De plus, ces prothèses peuvent se dégrader avec le temps, et une nouvelle opération peut être nécessaire pour changer la prothèse.
  • Reconstruction par lambeau ou reconstruction autologue. Cette technique consiste à utiliser les tissus de la patiente (graisse, muscle, peau) pour recréer le volume du sein. Les résultats de cette technique sont esthétiquement plus satisfaisants. Néanmoins l’opération est plus lourde. Une nouvelle cicatrice apparait à l’endroit du prélèvement tissulaire. De plus, cette technique nécessite le plus souvent 12 à 18 mois avant d’obtenir un résultat satisfaisant. De même, de nouvelles infections de tissus graisseux peuvent être nécessaires.

Bioprothèse 3D résorbable : un espoir pour la reconstruction mammaire

Une nouvelle technologie innovante basée sur l’impression 3D d’une bioprothèse résorbable présente aujourd’hui un espoir important pour les patientes.

En effet, cette bioprothèse présente l’avantage d’être fabriquée sur mesure pour la patiente, dans un matériaux biocompatible limitant les risques de rejet. Un lambeau graisseux est intégré dans la prothèse, et va servir de matrice à la croissance tissulaire. Les tissus graisseux vont se développer, le système sanguin également, ce qui va permettre la reconstruction naturelle du sein. En parallèle, la prothèse va se dégrader, permettant à terme l’obtention d’un sein reconstruit et viable, esthétiquement satisfaisant pour les patientes. Des études cliniques sont en cours pour évaluer la pertinence et la sécurité de tels dispositifs médicaux.

Conclusion

Le cancer du sein est donc une maladie complexe, mortelle, et largement répandue. On estime aujourd’hui qu’une femme sur 8 sera atteinte d’un cancer du sein au cours de sa vie et qu’une femme sur 36 en mourra.

Le diagnostic, le traitement et l’accompagnement des femmes dans la prise en charge de cette pathologie sont pluridisciplinaires et la source de très nombreuses innovations. Par conséquent, le soutien financier de ces innovations par les dispositifs d’aide directe et indirecte est vital pour offrir de nouveaux espoirs à ces patientes.

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