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CRISPR (Clustered regularly interspaced short palindromic repeat) a souvent fait parler de lui dans la presse scientifique au regard des avancées qu’il permet en combinaison de Cas9 (CRISPR associated protein 9), notamment en ce qui concerne la thérapie génique. ABGI vous propose un article complet sur le sujet !
CRISPR désigne une séquence génétique héritée d’un pathogène lors de son passage au sein d’un organisme procaryote.
En conservant une trace génétique de ces pathogènes, les procaryotes peuvent non seulement les identifier ultérieurement (grâce à CRISPR, la séquence héritée), mais également générer une nucléase (enzyme) capable de couper la séquence cible dans l’ADN du pathogène afin de le combattre grâce au mécanisme immunitaire Cas associé à la séquence CRISPR. En effet, cette nucléase est guidée par la séquence ARN transcrite par la séquence génétique CRISPR héritée du pathogène.
Ainsi, le mécanisme du système immunitaire procaryote basé sur CRISPR , et sa transformation en un puissant outil d’édition de gènes , a révolutionné le domaine de la biologie moléculaire et a suscité l’enthousiasme pour des thérapies géniques nouvelles.
Il s’agit d’une méthode visant à appliquer une action correctrice sur les gènes par le biais d’une modification de leur structure, c’est-à-dire en « découpant » une séquence cible de l’ADN.
Le système de nucléase spécifique au site CRISPR/Cas9 s’est vu généralisé dans de nombreux domaines de la recherche biologique en raison de sa simplicité et de sa flexibilité, notamment pour le développement de lignées cellulaires modèles, pour la découverte des mécanismes d’une maladie, ou encore pour la régulation de la transcription, etc.
Une grande partie de cet enthousiasme est centrée sur le potentiel clinique de CRISPR/Cas9 pour le traitement des maladies humaines et l’édition du génome humain. Ainsi, l’édition facilitée de l’ADN a apporté un nouveau rythme à la recherche biologique dans de nombreux domaines :
Depuis sa démocratisation dans les laboratoires de recherche en génétique, la méthode basée sur CRISPR/Cas9 a permis de nombreuses applications dans bien des domaines. L’engouement suscité par CRISPR/Cas9 s’illustre surtout dans les domaines tels que la santé, l’agriculture ou encore l’élevage.
En France, environ 20 000 patients par an sont en liste d’attente pour un greffon. Un tel contexte a motivé les chercheurs à proposer une solution pour pallier ce manque en organes. Ainsi, en 2018, l’équipe de Längin et al. a travaillé sur un moyen, par le biais de CRISPR/Cas9, d’accroître la compatibilité d’une greffe en modifiant l’ADN de l’organe greffé (un cœur). La transplantation expérimentale a eu lieu sur un babouin qui a survécu 6 mois avec la greffe. Bien que cette expérience soit encourageante, elle n’est pas suffisante et de nombreux travaux sont encore à mener dans le milieu.
Outre son action sur la compatibilité, CRISPR, par sa capacité à cibler une séquence particulière dans l’ADN, a permis à une équipe de chercheurs d’injecter des lymphocytes T génétiquement modifiés chez un patient atteint d’un cancer du poumon afin que ces derniers reconnaissent et attaquent les cellules tumorales .
Un autre moyen de lutter contre certaines maladies a été expérimenté. Il s’agissait, à l’aide de CRISPR, de modifier génétiquement des moustiques mâles afin de les rendre résistants au parasite responsable du paludisme (plasmodium) et ainsi de lutter contre le paludisme en éliminant les moustiques vecteurs de la maladie .
Une équipe de chercheurs de l’Université Purdue et de l’Académie des Sciences de la Chine a développé une variété de riz produisant 25 % à 35 % de grains en plus, grâce à des mutations effectuées sur 13 gènes associés à la phytohormone acide abscissique. Cette dernière a un rôle important dans la tolérance au stress des plantes et la suppression de la croissance .
L’élevage est également un domaine de recherche intéressant pour CRISPR/Cas9. En effet, ce dernier pouvant aider à lutter contre certaines maladies (grippe aviaire, porcine, tuberculose, etc.) et/ou à renforcer les animaux (chaleur, froid, etc.), voire à introduire une stérilisation sous forme génétique.
Avec CRISPR, le potentiel génétique de certaines plantes peut également être amélioré et mobilisé dans la lutte contre le réchauffement climatique.
En effet, une équipe de chercheurs de Taïwan a travaillé sur une algue verte bien connue (Chlamydomonas reinhardtii) qui est capable de transformer naturellement le CO2 en sucre et en lipides. Les chercheurs ont réussi à augmenter la production de lipides de 94 % chez cette algue en modulant l’expression d’un gène régulant la fixation du carbone, la rendant alors intéressante pour la production de biodiesel.
Les espèces disparues ayant vécu dans des contextes climatiques particuliers peuvent apporter des éléments de survie à leurs descendants menacés.
En effet, le généticien George Church vise l’introduction de génome de mammouth dans le génome d’un éléphant indien, l’espèce la plus proche. Selon George Church, l’objectif de son équipe est de créer des éléphants avec des adaptations aux climats froids. Leurs cibles initiales de modification génétique comprennent des gènes qui affectent l’hémoglobine sanguine, la taille des oreilles, la graisse sous-cutanée et les poils .
Si l’équipe parvient à créer des éléphants génétiquement modifiés, ces animaux pourraient être introduits dans les environnements dans lesquels les mammouths vivaient autrefois, ce qui permettrait à la fois d’élargir la gamme des habitats dans lesquels les éléphants peuvent vivre et de rétablir les interactions écologiques qui ont été perdues lorsque les mammouths ont disparu.
Ces différents exemples d’application de CRISPR/Cas9 dans différents domaines montrent l’utilité de la méthode. Néanmoins, certains chercheurs travaillent sur des problématiques génétiques bien plus soumises à débat d’un point de vue éthique. Si le travail sur des cellules in vivo ou sur d’autres espèces existe depuis un moment et est donc encadré, le travail sur des individus humains soulève la controverse.
La thérapie génique pourrait ainsi grandement bénéficier de la technologie CRISPR/Cas9. À ce jour, plus de 3 000 gènes ont été associés à des mutations pathogènes .
Les premiers efforts pour corriger les mutations génétiques pathogènes chez l’homme, bien que généralement couronnés de succès, ont été entachés par plusieurs tragédies :
Les deux tragédies ont été causées par la méthode d’administration thérapeutique :
Une décennie après ces tragédies, de grands progrès ont été réalisés dans le domaine des technologies de thérapie génique, ce qui a suscité un regain d’enthousiasme pour la promesse d’un traitement à large spectre des maladies génétiques. Les progrès comprennent la découverte et le développement de nucléases spécifiques à un site pour l’édition de gènes :
Toutefois, la communauté scientifique reste sceptique à l’égard des travaux réalisés sur l’être humain et demeure particulièrement soucieuse de conserver une éthique stricte. Encore récemment, certains chercheurs ont généré beaucoup de réactions de la part de la communauté scientifique.
En 2018, le chercheur chinois He Jiankui a annoncé avoir donné naissance au premier bébé génétiquement modifié pour être immunisé contre le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) en désactivant un gène appelé CCR5 impliqué dans la déclaration du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise). Cette première mondiale a valu un procès au chercheur ainsi qu’une mise au ban par l’ensemble de la communauté scientifique internationale.
En parallèle, elle a également ouvert la voie à un débat sur les manipulations génétiques visant à améliorer l’être humain, car d’une part, des couples porteurs d’une maladie transmissible pourraient donner naissance à des bébés sains, mais d’autre part, cela pourrait ouvrir la porte à des dérives eugéniques.
La mutation du gène GJB2 est responsable de plus 50 % des surdités autosomiques récessives non syndromiques. La mutation la plus fréquemment décrite dans le monde est la c.35delG.
En 2014, l’équipe de Zainone et al. a travaillé sur ce qui semblait être une nouvelle mutation du gène GJB2. Leur travail a porté sur deux patients présentant une surdité congénitale bilatérale profonde. Les chercheurs ont recherché une mutation du gène GJB2 chez ces deux patients en utilisant la PCR et le séquençage direct de l’ADN.
L’étude génétique a révélé une mutation par délétion au niveau du nucléotide 405 (c.405delC). Cette mutation a été détectée à l’état hétérozygote combinée à la mutation c.35delG. La mère et le père étaient tous les deux transporteurs respectivement des mutations c.35delG et c.405delC.
C’est sur ce gène que le biologiste russe Denis Rebrikov a mené des travaux en 2019 . Le chercheur a travaillé sur l’édition de gènes à partir d’ovules donnés par des femmes non atteintes de surdité afin d’identifier les séquences mises en cause dans la surdité et de permettre à des couples sourds de donner naissance à des enfants sans la mutation génétique identifiée qui altère l’audition. Ses travaux ont également soulevé l’indignation de la communauté scientifique.
Les progrès réalisés grâce à CRISPR/Cas9 sont nombreux et montrent à quel point un nouvel outil peut propulser tout un champ scientifique en lui donnant un nouveau rythme d’avancement.
Cependant, comme le disait Rabelais « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Il est nécessaire de demeurer prudent dans notre approche des innovations en considérant tous les facteurs possibles. Le contexte actuel (COVID-19) nous montre que la recherche n’est pas une course dans laquelle il faut s’engager sans protection.
Lindsay CHEMET
Rédactrice Scientifique
chez ABGI France
L’intelligence artificielle et la recherche pharmaceutique
L’impact des outils numériques sur le cerveau