Biothérapies et bio-production – innovations et opportunités de financement
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Par Aurore Tinant, Consultante en financement de l’innovation
Les technologies quantiques entrent aujourd’hui dans une phase décisive : après deux décennies de recherche fondamentale, elles basculent vers une véritable industrialisation. L’enjeu est stratégique. Grâce à leur capacité à résoudre des problèmes d’optimisation, de simulation ou de cryptanalyse hors de portée du calcul classique, ces technologies sont appelées à transformer des secteurs entiers : santé, énergie, matériaux, mobilité, finance. Elles sont également au cœur des problématiques de souveraineté numérique et de sécurité. Notamment avec l’arrivée de la cryptographie post-quantique et des communications quantiques inviolables.
Depuis 2023, le secteur connaît une accélération visible. Amélioration du rendement et de la qualité des qubits, premiers progrès significatifs sur l’atténuation et la correction d’erreurs, montée en puissance des architectures photoniques et supraconductrices, ou encore expérimentation de réseaux de communication quantique sur de longues distances. Parallèlement, les premiers revenus commerciaux commencent à émerger via les offres cloud, les services de développement et les applications hybrides quantique-classique. Cette maturation technique et commerciale confirme que le passage du « potentiel » au « réel » est engagé.
En résumé, les technologies quantiques représentent aujourd’hui un levier d’innovation majeur, un enjeu géopolitique et une opportunité d’investissement structurante. Le secteur n’est plus en phase spéculative : il entre dans celle de l’exécution, avec des applications ciblées à court terme et un potentiel de rupture à long terme.
Aujourd’hui, plusieurs architectures coexistent dans la course à l’informatique quantique. Chacune avec ses atouts, mais aussi des limites importantes. C’est précisément en travaillant sur ces limites que se structurent les axes majeurs d’innovation.
Les qubits supraconducteurs, très utilisés par des acteurs majeurs tels qu’IBM, Google Quantum AI ou Rigetti Computing, reposent sur des jonctions Josephson et des circuits micro-fabriqués. Cela leur donne l’avantage d’une fabrication à l’échelle comparable à celle de la microélectronique. Ainsi, certaines puces récentes revendiquent plusieurs centaines, voire plus de 1 000 qubits physiques. Par exemple, le processeur « Condor » d’IBM affiche sur le papier 1 121 qubits.
Leur force tient aussi à la rapidité des opérations quantiques. Les portes quantiques peuvent en effet être exécutées en nanosecondes, ce qui favorise des calculs rapides.
Mais cette technologie souffre d’un défaut majeur : la fragilité de la cohérence quantique. Les qubits nécessitent des températures cryogéniques très basses. Et par ailleurs, les temps de cohérence restent souvent de l’ordre de dizaines à quelques centaines de microsecondes, ce qui limite le nombre d’opérations possible avant que l’état quantique ne se dégrade.
De plus, la connectivité sur la puce est limitée : tous les qubits ne peuvent pas interagir directement, ce qui complique la conception d’algorithmes efficaces.
Pour pallier ces limites, les recherches actuelles explorent des matériaux à pertes réduites, des jonctions de meilleure qualité et des techniques avancées de refroidissement cryogénique pour prolonger la cohérence. Dans certaines avancées récentes, on évoque un allongement de la cohérence à plusieurs millisecondes, un bond qui pourrait significativement améliorer la robustesse des systèmes.
Par ailleurs, des architectures modulaires multi-puces sont étudiées afin de contourner les contraintes de câblage, de contrôle et de montée en échelle.
L’approche à ions piégés, qui consiste à confiner des ions dans un piège électromagnétique et à les manipuler par lasers, brille par sa qualité de qubit. Ces systèmes offrent généralement une excellente fidélité des portes quantiques et des temps de cohérence bien plus longs que les supraconducteurs.
Concrètement, certaines configurations récentes maintiennent la cohérence plusieurs secondes, un ordre de grandeur très favorable pour des opérations longues ou des protocoles complexes.
Cependant, la montée en échelle est un gros défi. Lorsque le nombre d’ions augmente, des effets physiques, tels que les couplages mécaniques, modes de vibration collectifs, chauffage des ions, nuisent à la stabilité du système.
En outre, le contrôle individuel de chaque ion (lasers, stabilisation, chambres à vide) complique l’industrialisation. Il rend également incertaine la faisabilité d’un passage à des centaines ou milliers de qubits.
Pour répondre à ces défis, des architectures dites modulaires sont proposées. Par exemple, le concept de Quantum Charge‑Coupled Device (QCCD). Au lieu de contenir tous les ions dans un même piège, on imagine plusieurs petits pièges reliés entre eux, avec des mécanismes de « shuttling » (déplacement d’ions). Ces approches peuvent permettre de combiner la qualité des ions piégés et une meilleure scalabilité.
Les travaux de R&D actuels explorent aussi des techniques pour minimiser la diaphonie (interactions indésirables entre qubits voisins) et améliorer la précision des portes deux‑qubits.
D’autres pistes explorent des qubits photoniques, des atomes neutres ou des technologies semi‑conductrices / spins. Ces approches séduisent par des promesses de scalabilité naturelle, de faible sensibilité à l’environnement (atomes neutres, photons), ou d’intégration possible avec l’électronique traditionnelle.
Par exemple, l’emploi d’atomes neutres dans des « optical tweezers » (pinces optiques) permet de disposer d’un grand nombre d’atomes, potentiellement reconfigurables. Cela pourrait ouvrir la voie à des systèmes massifs avec une complexité matérielle réduite, un atout pour la scalabilité.
Mais ces approches sont aujourd’hui moins matures pour ce qui est des opérations quantiques universelles. Réaliser des « gates » déterministes entre photons ou entre atomes reste un défi majeur. Les photons, par exemple, interagissent peu entre eux spontanément, ce qui complique la mise en œuvre de portes quantiques fiables.
Les taux de perte dans les guides optiques, l’efficacité des sources et des détecteurs de photons, l’interfaçage avec l’électronique classique sont également des obstacles non négligeables.
Pour surmonter cela, des architectures hybrides sont à l’étude. Combiner par exemple des photons pour le transport d’information (communication quantique), des atomes ou des ions pour le stockage/cohérence, et des qubits supraconducteurs pour le calcul rapide. Cette approche « multimodale » cherche à tirer parti des forces de chaque technologie, tout en atténuant leurs faiblesses, un bel exemple d’innovation systémique.
Le constat est clair : aucune des technologies actuelles ne combine encore scalabilité, fiabilité, cohérence longue durée, et industrialisation facile. Mais c’est précisément parce qu’elles présentent des verrous technologiques forts (cohérence, erreurs, contrôle, architecture, intégration) que le champ de la R&D est à la fois vaste et stratégique.
Les efforts actuels tournent autour de :
C’est cet écosystème d’expérimentation, de prototypage et d’hybridation qui constitue l’un des moteurs de l’innovation quantique aujourd’hui. Et, ce sont ces innovations qui permettront, dans les années à venir, de passer des prototypes à des systèmes quantiques utilisables, robustes et industriels.
Le secteur quantique bénéficie aujourd’hui d’un écosystème de financement riche et diversifié. Il combine en effet soutien public, investissements privés et partenariats industriels. Les programmes nationaux et européens mettent l’accent sur la transition entre la recherche et l’industrialisation. Ils permettent ainsi aux startups et aux laboratoires de développer leurs prototypes tout en réduisant les risques financiers. Les instruments vont du soutien à la R&D fondamentale jusqu’au financement de projets pilotes et de démonstrateurs industriels.
Le besoin de souveraineté technologique française et européenne est devenu un enjeu stratégique. La maîtrise des technologies quantiques est cruciale pour garantir l’indépendance en matière de sécurité numérique, de cryptographie et de réseaux critiques. Les financements publics s’orientent donc vers la création d’écosystèmes locaux et la construction d’infrastructures de pointe sur le territoire européen. Le but étant d’éviter une dépendance excessive vis-à-vis des acteurs étrangers. Ces initiatives favorisent la consolidation d’une chaîne de valeur européenne complète, allant des matériaux et composants aux logiciels et applications. Ceci tout en soutenant la montée en puissance des startups et laboratoires locaux.
En parallèle, le financement quantique s’accompagne de mécanismes de co-développement public-privé. Ces dispositifs favorisent la collaboration entre laboratoires, startups et grandes entreprises. Ils permettent aunsi de mutualiser compétences, infrastructures et connaissances. Cette approche renforce non seulement la maturation technologique, mais aussi la compétitivité industrielle et la capacité à créer des chaînes de valeur complètes en Europe et à l’international.
L’ensemble de ces leviers financiers rend le secteur particulièrement attractif pour les acteurs innovants. Il constitue un moteur puissant pour transformer les découvertes scientifiques en produits et services commercialement viables. Ceci tout en garantissant une maîtrise stratégique et souveraine des technologies critiques pour l’avenir.
Principaux appels à projets en cours :
Parmi les acteurs français qui se distinguent dans le domaine des technologies quantiques, Pasqal occupe une place de choix. Fondée en 2019, cette startup s’est spécialisée dans les ordinateurs quantiques basés sur des atomes neutres piégés. Une approche alternative aux qubits supraconducteurs ou ions piégés, offrant de fortes perspectives de scalabilité et de connectivité entre qubits.
L’innovation de Pasqal repose sur une stratégie pragmatique. en effet, plutôt que d’attendre la machine quantique universelle parfaite, l’entreprise développe des processeurs quantiques modulaires, tout en explorant des applications concrètes comme la simulation, l’optimisation ou le machine learning. Cette approche permet de transformer rapidement la recherche fondamentale en solutions utilisables par l’industrie, tout en constituant progressivement un savoir-faire technique solide.
Le succès de Pasqal se mesure aussi par ses levées de fonds. En 2023, la startup a réuni 100 millions d’euros, un record pour une société quantique européenne à cette date. Ces ressources permettent de poursuivre le développement de systèmes plus complexes, avec l’ambition d’atteindre d’ici quelques années plus de 1 000 qubits, franchissant ainsi un seuil critique pour des applications robustes et industrielles.
Mais au-delà de la technologie et de la croissance financière, Pasqal illustre un enjeu stratégique majeur : la souveraineté technologique européenne. En misant sur une technologie développée et produite en France et en Europe, la startup contribue à construire un écosystème autonome, réduisant la dépendance aux acteurs étrangers et renforçant la sécurité numérique et industrielle.
Enfin, Pasqal joue un rôle structurant pour l’écosystème quantique européen. Son succès attire d’autres startups, favorise les collaborations avec les laboratoires et les grandes entreprises, et consolide une filière complète, du matériel aux logiciels, jusqu’aux applications concrètes. Ce cas montre qu’il est possible, depuis la France, de combiner excellence scientifique, innovation technologique et ambition industrielle, tout en participant activement à la construction de la souveraineté quantique européenne.
Références bibliographiques
Biothérapies et bio-production – innovations et opportunités de financement
Performance des achats de transport collectif