Le financement de l’innovation en 2025 : opportunités internationales pour les technologies de rupture
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Par Valentin Blanchard, Consultant en financement de l’innovation
Entre transition écologique, sécurité alimentaire, pression économique et attentes sociétales, l’agriculture française vit une période de profonde mutation. Les agriculteurs, en première ligne, doivent répondre à des défis aussi urgents que complexes. Pourtant, ils sont régulièrement désignés comme acteurs contribuant de manière notable aux phénomènes de pollution dans le monde agricole. Une telle affirmation mérite d’être replacée dans son contexte : travailler avec le vivant signifie subir les aléas du climat, composer avec une réglementation contraignante et des marchés instables, tout en assurant quotidiennement la mission fondamentale de nourrir la population.
À ces éléments s’ajoutent des conditions de travail contraignantes ainsi qu’une rémunération insuffisante au regard de l’investissement. La problématique du renouvellement des générations contribue à accentuer cette situation : près d’un exploitant sur deux a aujourd’hui plus de 55 ans, et plus d’un quart dépasse 60 ans. Beaucoup d’exploitations reposent encore sur des modèles hérités du XXe siècle, tandis que les nouvelles générations se trouvent confrontées à une pression sociale sans précédent, intensifiée par les médias et les réseaux sociaux.
Or, les consommateurs demandent désormais des produits plus durables, plus sains, plus transparents et plus respectueux du bien-être animal. Ces exigences, malgré leur légitimité, renforcent la pression sur un secteur déjà fragilisé.
Avec son modèle actuel, l’agriculture représente le deuxième secteur émetteur de gaz à effet de serre après les transports. Elle contribue aussi à l’appauvrissement des sols, à la pollution des écosystèmes, à l’effondrement de la biodiversité, et mobilise plus de 50 % de la consommation d’eau douce non restituée en France.
Néanmoins, attribuer la seule responsabilité de ces dérives aux agriculteurs serait à la fois inéquitable et préjudiciable. Leur rôle revêt une importance fondamentale : sans leur intervention, la souveraineté alimentaire ne saurait être assurée. La réussite de la transition écologique dépend donc de leur pleine implication.
Cela implique de les accompagner, de leur apporter un soutien approprié et de reconnaître pleinement l’importance de leur mission puisque transformer les pratiques, investir dans des techniques durables et repenser les modèles économiques nécessitent du temps, des moyens financiers, de la formation et une véritable considération sociale et politique. Dans un contexte caractérisé par des pressions sur les prix et une concurrence internationale amplifiée, notamment avec l’entrée en vigueur de l’accord MERCOSUR, il serait irréaliste d’attendre d’eux une mutation silencieuse et profonde.
Fournir aux agriculteurs les moyens de mener à bien cette mutation représente un investissement stratégique dans notre avenir commun. Cela suppose de reconnaître que l’agriculture ne se limite pas à sa fonction économique : elle constitue un pilier fondamental de notre société, de nos paysages et de notre patrimoine culturel, tout en demeurant un levier majeur pour répondre aux défis du dérèglement climatique et de la perte de biodiversité.
Face aux limites du modèle agricole dominant – incapable de concilier production alimentaire, protection de l’environnement et juste rémunération des producteurs – l’innovation apparaît comme une voie incontournable. Qu’il s’agisse des technologies numériques, de la robotique, de l’agroécologie ou de nouvelles filières de valorisation, l’innovation demeure une condition indispensable pour construire une agriculture durable, résiliente et souveraine.
C’est dans ce contexte que la question du financement public revêt une importance particulière, puisque l’innovation implique non seulement de concevoir, mais également de tester, de diffuser et surtout de rendre ces avancées accessibles aux agriculteurs.
Entre 2017 et 2024, la Cour des comptes estime que les financements publics consacrés spécifiquement à l’innovation agricole (hors recherche et développement1) ont atteint près de 8,5 milliards d’euros, soit plus de 1 milliard d’euros par an. Ces sommes ont été réparties sur différents segments du processus d’innovation : environ 40% pour l’appropriation2 par les exploitants, 29% pour la valorisation3, 16% pour la diffusion4 et 15% pour des financements transversaux5. Les aides à l’achat des agroéquipements sont incluses dans les financements transversaux (Figure 1).
Ces 8,5 milliards d’euros ont été financés par une multitude de sources Nationales et Européennes. Ces financements proviennent à la fois de budgets récurrents, qui structurent l’accompagnement de l’innovation sur le long terme, et de budgets exceptionnels, déclenchés en réponse à des crises ou pour accélérer certaines transitions.
De nombreux budgets récurrents sont alloués au secteur agricole :
En parallèle de ces aides récurrentes dédiées à l’innovation, il existe les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC), qui relèvent du second pilier de la PAC (développement rural). Les MAEC visent à accompagner les agriculteurs qui s’engagent volontairement, pour une durée de 5 ans, dans des pratiques plus respectueuses de l’environnement : réduction d’intrants, maintien des prairies, implantation de couverts végétaux, gestion de l’eau, conservation de la biodiversité, etc. Ces contrats offrent une compensation financière pour couvrir les surcoûts et le manque à gagner liés à ces changements de pratiques. En France, les MAEC représentent un peu moins de 500 millions d’euros par an et constituent un levier essentiel de la transition agroécologique. Elles se distinguent donc des dispositifs nationaux de soutien à l’innovation étudiés par la Cour des comptes (Cour des comptes, 2025), mais contribuent, de manière complémentaire, à transformer les pratiques agricoles vers davantage de durabilité. Toutefois, leur efficacité est contrastée : certains dispositifs ciblés (par exemple la protection de zones humides, l’entretien de haies, ou les couverts permanents) ont montré des résultats positifs et mesurables sur la biodiversité et la qualité de l’eau, mais d’autres mesures plus générales ont eu un impact limité, faute d’objectifs clairs ou de suivi rigoureux. De plus, les agriculteurs perçoivent parfois les MAEC comme trop complexes administrativement, avec des contrôles jugés contraignants, et des niveaux de compensation souvent insuffisants pour couvrir le risque ou compenser le manque à gagner. Cela peut freiner leur attractivité, en particulier dans un contexte où les exploitants font déjà face à de fortes incertitudes économiques.
En plus des financements récurrents, qui structurent durablement le soutien public à l’innovation agricole, la période 2017-2024 a été marquée par plusieurs programmes exceptionnels. Leur rôle a été de répondre à des crises conjoncturelles ou de soutenir l’émergence d’innovations de rupture, dans un calendrier et avec des volumes de crédits qui dépassent largement les dispositifs habituels. Selon la Cour des comptes, ces financements exceptionnels représentent près de 1,5 milliards d’euros, soit environ 20 % des 8,5 milliards d’euros totaux consacrés à l’innovation agricole hors recherche et développement.
Le premier d’entre eux est le plan de relance agricole (2020-2022), adopté dans le contexte de la crise sanitaire et des tensions géopolitiques. Il a constitué un apport ponctuel, mais massif aux exploitations, avec environ 632 millions d’euros fléchés vers l’innovation agricole, dont 505,6 millions d’euros dédiés à l’achat d’agroéquipements et 126,8 millions d’euros pour la structuration des filières. Ces aides ont bénéficié directement aux exploitants agricoles et aux CUMA, afin de financer des équipements modernes permettant de réduire les intrants, de mieux gérer l’eau ou encore d’intégrer des outils numériques. Les interprofessions et les organisations de filières ont également profité de la partie « structuration ». Le plan de relance est désormais clos, mais certains de ses volets ont été repris par le programme France 2030 ainsi que par les nouveaux plans stratégiques nationaux de la PAC.
Un second apport a été fourni par le Programme d’Investissements d’Avenir de troisième génération (PIA 3, 2018-2020), qui a orienté environ 130 millions d’euros vers l’agriculture et l’alimentation, notamment via la Banque des territoires (99,2 millions d’euros) et l’ADEME (32,2 millions d’euros). Ces crédits ont été mobilisés pour soutenir des projets environnementaux, moderniser certaines filières et accompagner la transition énergétique. Les bénéficiaires ont été divers : collectivités, entreprises et organisations de filières. Le PIA 3 a toutefois été progressivement remplacé par le PIA 4. C’est ce dernier, intégré à France 2030, qui constitue aujourd’hui le principal levier exceptionnel de financement de l’innovation agricole. Il vise à développer et industrialiser des technologies de rupture, qu’il s’agisse de robotique agricole, de biotechnologies, de méthodes numériques appliquées aux exploitations ou encore de nouvelles formes d’alimentation durable. Environ 658,3 millions d’euros ont été mobilisés via Bpifrance, auxquels s’ajoutent environ 35 millions d’euros via l’ANR au titre de la valorisation et de la transition de la recherche vers l’innovation, soit un total d’environ 693 millions d’euros. Les bénéficiaires sont principalement les start-up, PME et ETI de l’Agritech, mais aussi certains consortiums associant entreprises et recherche publique. Contrairement au plan de relance, ponctuel, France 2030 s’étend jusqu’en 2030, avec une enveloppe globale de 54 milliards d’euros au niveau national, dont une fraction est fléchée vers l’agriculture et l’alimentation.
Dans son rapport, la Cour des comptes dresse un constat contrasté sur le financement de l’innovation agricole. Si les soutiens publics ont contribué à structurer un véritable écosystème combinant pôles de recherche appliquée, start-up AgriTech et dispositifs d’expérimentation, leur efficacité reste limitée par la dispersion des financements, la complexité administrative et un ciblage insuffisamment adapté aux spécificités agricoles. Trop souvent, les aides encouragent des innovations techniques incrémentales (achat de matériel, modernisation d’outils), plutôt que des transformations systémiques ou de rupture, nécessaires pour accélérer la transition agroécologique.
La diffusion et l’appropriation des innovations demeurent également lentes : les agriculteurs supportent encore une grande part des risques financiers et techniques liés à l’adoption de nouvelles pratiques. Pour réduire ces freins, la Cour des comptes souligne l’importance d’initiatives comme Link’Expé, qui ouvre aux entreprises innovantes (start-up, PME, ETI) l’accès aux réseaux d’expérimentation des chambres d’agriculture, des instituts techniques et de l’INRAE, afin de tester plus rapidement leurs solutions en conditions réelles. Ce type de dispositif vise à rapprocher l’innovation des exploitants et à en faciliter l’appropriation.
La Cour des comptes conclut son rapport en formulant sept recommandations principales afin de rendre les politiques publiques plus cohérentes et plus efficaces :
Malgré ces limites, plusieurs projets financés témoignent du potentiel de l’innovation et ce sur toute la chaîne de valeur du secteur agricole en France.
La société NT2I (Saint-Étienne) développe le procédé Rose V2 d’ovosexage des embryons de poules pondeuses, avec l’appui scientifique de l’INRAE, technique d’Ovoconcept et suivi d’ITAVI. L’objectif est de sexer les embryons avant 13 jours d’incubation, avec une précision de 95 % et une cadence de 20 000 œufs/heure, afin d’éviter l’élimination des poussins mâles. Sa nouvelle solution est déjà opérationnelle sur les souches Gallus de ponte brunes et le sera prochainement sur les souches de ponte blanches. Ce projet bénéficie d’un soutien via le volet agricole de l’appel à projets « Innover pour réussir les transitions agroécologique et alimentaire » du plan France 2030.
Le projet RS-Smart Élevage, mené par Cooperl Innovation avec BA Group et BA Technics, ambitionne de transformer l’élevage porcin grâce à une plateforme numérique baptisée CSuite. Elle combine robotique, capteurs et intelligence artificielle pour améliorer le bien-être animal, réduire l’empreinte climatique et faciliter le travail des éleveurs. Lauréat du même appel à projets que le projet Rose V2, ce projet présente un budget de 3,6 millions d’euros pour trois ans et demi de développement.
Le projet ALIAGE (s’Appuyer sur Les Innovations couplées d’AGriculteurs pour soutenir l’Émergence de systèmes agricoles sans glyphosate) est coordonné par la FNCUMA et financé à hauteur de 300 000€ par le CASDAR sur 2022-2025 via l’appel à projets « Recherche d’alternatives à l’usage d’herbicides à base de glyphosate ». Il cible deux contextes sensibles : la viticulture en zones accidentées et les grandes cultures sans labour, où l’usage du glyphosate est particulièrement ancré. Le programme vise à accompagner les groupes de CUMA déjà engagés ou souhaitant tester des alternatives, en combinant équipements adaptés, choix culturaux et organisation collective. De nombreux partenaires techniques et de recherche y sont associés : INRAE, Isara, Ecole d’Ingénieurs de Purpan, ITAB, IFV, Arvalis et Terres Inovia.
Le projet CAPARA, piloté par Atmo Hauts-de-France, a été retenu dans le cadre du programme AQACIA 2020 de l’ADEME13. Il cherche à mesurer la contribution du secteur agricole aux concentrations de particules fines, à travers des campagnes de mesures dans deux territoires ruraux (Nord et Oise). L’enjeu est d’identifier les pratiques agricoles influençant la qualité de l’air et de partager les résultats avec les acteurs locaux. Les partenaires sont IMT Nord Europe et les Chambres d’Agriculture du Nord-Pas-de-Calais et de l’Oise, pour un projet s’étendant de mars 2022 à juin 2026.
La solution SmartStriker, développée par Carbon Bee, consiste en un système de détection embarqué sur les rampes de pulvérisation, associant caméras hyperspectrales et intelligence artificielle. Sa finalité est d’identifier en temps réel les adventices et maladies sur différentes cultures et de déclencher les buses uniquement aux endroits nécessaires. Ce dispositif permet des économies d’herbicides de 65% à 95%, de fongicides de 15% à 30% et d’azote de 15% à 30%, pour un gain de rendement estimé entre 3 et 10 %. Cette solution développée sous le nom de projet « Intelligent Localized Spraying » (ILS) a reçu une première aide de 288 000€ par le Programme d’investissements d’avenir entre 2018 et 2021 et a été lauréat en 2023 de l’appel à projet « Financement des préséries d’innovations technologiques liées aux équipements agricoles » opéré par Bpifrance.
De nombreuses opportunités de financement restent accessibles dans les années à venir : appels à projets CASDAR, programmes France 2030, dispositifs Bpifrance ou encore initiatives européennes. Qu’il s’agisse de soutenir la recherche fondamentale ou appliquée, le développement expérimental de nouvelles innovations, et de les transférer aux agriculteurs, les leviers sont nombreux pour accélérer la transition.
Tableau 1 : Tableaux récapitulant les sources de financement publiques dans l’agriculture
Opérateur / Financeur | Nom de l’AAP / Programme | Organismes ciblés | Objectifs principaux | Date de clôture |
ANR / France 2030 | PEPR « SAMS » – Systèmes Alimentaires, Microbiome, Santé | Recherche académique | Étudier les liens entre alimentation, microbiote et santé dans une perspective durable | 13/01/2026 |
PNDAR/Casdar (FranceAgriMer) | CASDAR – Appel à projets Co-Innovations 2026 | Organismes de recherche, Instituts techniques, chambres d’agriculture, entreprises, groupements agricoles, établissements d’enseignement agricole | Stimuler la co-construction de l’innovation entre les collectifs d’agriculteurs et les organismes de recherche, instituts techniques, organismes de développement, de conseil et de formation. | 16/01/2026 |
CASDAR – Appel à projets Connaissances 2026 | Production de connaissances, d’outils, de tests, et/ou de méthodes opérationnelles, en vue de leur application dans les systèmes agricoles et agroalimentaires. | 16/01/2026 | ||
CASDAR – Appel à projets Démultiplication 2026 | Soutenir des actions ambitieuses en matière d’accompagnement, de transfert et de conseil agricole afin de faciliter la détermination par chaque agriculteur, des connaissances, outils et méthodes appropriés à mettre en œuvre prioritairement dans son contexte d’exploitation. | 16/01/2026 | ||
VITILIENCE 2024 | Mise en place de démonstrateurs vitivinicoles favorisant l’adoption de pratiques et de systèmes résilients au changement climatique par la diffusion d’exemples de combinaisons de pratiques d’adaptation et d’atténuation du changement climatique en fonction du contexte de chaque bassin viticole. | 31/12/2026 | ||
Bpifrance / France 2030 | Financement des prototypes de technologies agricoles innovantes | PME / ETI (monopartenaire) | Financer la présérie industrielle de machines/outils agricoles numériques autonomes | 28/04/2026 |
PRAAM | Coopératives, organisations de producteurs, acteurs de l’aval (transformation agro-alimentaire, commercialisation de produits agricoles,
distribution de produits finis, etc.), s’ils sont associés à un réseau d’agriculteurs. |
Accélérer la massification de pratiques visant à réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques sur les exploitations agricoles | 14/04/2026 | |
Résilience et Capacités Agroalimentaires 2030 | Tout type d’entreprise (monopartenaire ou collaboratif) | Renforcer la résilience du système alimentaire, structurer les filières, soutenir les capacités industrielles | 11/03/2026 |
Références
[1]Les activités de R&D font référence ici à la recherche fondamentale et appliquée en amont du processus d’innovation menée dans les laboratoires publics (ex. : INRAE, CNRS, université), mais aussi par les sociétés privées.
[2] Désigne le fait qu’une innovation soit acquise (de manière marchande ou non), mise en place et régulièrement utilisée.
[3] Transfert des résultats de la R&D aux acteurs socio-économiques.
[4] Communication des innovations auprès des agriculteurs.
[5] Désigne des financements pouvant être rattachés à plusieurs segments (inclut des aides à l’achat d’agroéquipements)
Le financement de l’innovation en 2025 : opportunités internationales pour les technologies de rupture
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