Quand l’espace devient stratégique : l’imagerie satellite au cœur des enjeux sociétaux d’aujourd’hui & de demain

Par Emma Bertero, Consultante en financement de l’innovation

Près de 15 000 satellites orbitent aujourd’hui autour de la Terre, dont plus de 5 600 sont dédiés à l’observation de notre planète, générant chaque jour des dizaines de téraoctets d’images. Ce chiffre, en constante augmentation, illustre la montée en puissance de l’imagerie satellite dans notre monde interconnecté. Longtemps réservée à des usages militaires ou scientifiques, cette technologie s’impose désormais comme un outil transversal, au cœur des grandes transitions contemporaines.

Face à l’urgence climatique, à la multiplication des catastrophes naturelles, mais aussi à la recrudescence des tensions géopolitiques, l’imagerie satellite devient un levier stratégique. Elle permet de surveiller les forêts, les glaciers, les cultures, mais aussi de détecter des mouvements de troupes, cartographier des zones de conflit ou anticiper des crises humanitaires. À la croisée de l’innovation technologique, de la souveraineté numérique et de la résilience environnementale, elle redéfinit les frontières entre civil et militaire, entre public et privé.

Présentation générale du secteur

Le secteur de l’imagerie satellitaire, par-delà les prouesses techniques dont il se revêt, s’impose comme un pilier stratégique dans la compréhension et la gestion des grands enjeux contemporains. À la croisée de l’innovation technologique, de la souveraineté numérique et de la résilience environnementale, il illustre comment la recherche spatiale façonne les réponses aux défis climatiques, sécuritaires et géopolitiques.

En 2024, le marché mondial des services de données satellitaires était estimé à 12,1 milliards de dollars, avec une projection à près de 30 milliards en 2030, soit une croissance annuelle de 16,3 %.

Le segment défense et sécurité représentait à lui seul 3,5 milliards de dollars, confirmant le rôle central de l’imagerie satellite dans les stratégies de surveillance, de renseignement et de gestion des crises. Parallèlement, le marché de l’observation de la Terre, évalué à 5,1 milliards de dollars en 2024, connaît une croissance soutenue portée par les besoins en monitoring environnemental, agriculture de précision et planification urbaine.

Cette diversité d’usages se reflète dans la répartition du marché par application. En 2023, le segment de l’acquisition et de la cartographie de données géospatiales représentait à lui seul 32 % du marché mondial, devant la gestion des ressources naturelles, la sécurité, la conservation ou encore la gestion des catastrophes naturelles (voir figure ci-dessous).

Satellite Imaging Market Share, By Application, 2023

Figure 1 : Répartition du marché de l’imagerie satellite par application en 2023

Cette dynamique est alimentée par une explosion du nombre de satellites en orbite, la miniaturisation des capteurs, et l’essor des constellations commerciales à haute revisitabilité. Elle redéfinit les frontières entre les mondes académique et industriel, entre acteurs publics et privés. Les gouvernements, les agences spatiales (ESA, NASA, CNES) et les entreprises (Airbus, Maxar, ICEYE) collaborent désormais sur des plateformes mutualisées (Copernicus DIAS, Google Earth Engine), illustrant une interdépendance croissante.

Dans ce contexte, l’imagerie satellite devient un outil de décision pour de nombreux secteurs. Comme le souligne une étude de MarketsandMarkets (2024), « l’imagerie satellite fournit des images à haute résolution et à jour, facilitant la cartographie précise et l’analyse géospatiale. Des industries comme l’urbanisme, l’agriculture et la surveillance de l’environnement s’appuient sur ces données pour prendre des décisions éclairées. »

Mais au-delà des usages civils, les applications militaires et stratégiques restent un moteur puissant du secteur. Toujours selon MarketsandMarkets, « les satellites jouent un rôle crucial dans la défense : alignés sur les fonctions de renseignement, de reconnaissance et de communication sécurisée, ils deviennent un axe majeur d’investissement gouvernemental. »

Enfin, l’intégration de l’intelligence artificielle et du traitement embarqué transforme l’imagerie satellite en un outil réactif, capable de fournir des alertes en temps réel pour les feux de forêt, les inondations ou les mouvements stratégiques. Cette convergence technologique ouvre la voie à une nouvelle génération de services spatiaux, à la fois scientifiques, opérationnels et politiques.

Croissance exponentielle de l’imagerie satellitaire 

En 2025, on dénombre plus de 5 600 satellites d’observation de la Terre en orbite, contre moins de 1 000 une décennie plus tôt. Cette explosion du nombre de plateformes spatiales s’accompagne d’une diversification des formats : CubeSats, nanosatellites, capteurs hyperspectraux ou radar à synthèse d’ouverture (SAR) viennent compléter les flottes traditionnelles.

Les volumes de données générés sont vertigineux. La société Planet Labs produit à elle seule plus de 25 téraoctets d’images par jour, tandis que la constellation Pléiades Neo d’Airbus peut atteindre jusqu’à 40 To/jour. Ces flux massifs posent des défis majeurs en matière de stockage, de bande passante et de traitement en temps réel.

Comme le souligne Gaétan Bahl dans sa thèse (2022), cette croissance impose une automatisation accrue des chaînes de traitement, notamment via l’intelligence artificielle embarquée. L’objectif est double : réduire la latence entre acquisition et décision, et limiter les volumes de données à transmettre au sol. Ces enjeux sont d’autant plus cruciaux dans les contextes d’urgence (feux de forêt, inondations, conflits) où la réactivité est déterminante.

Acteurs publics : une infrastructure stratégique 

Les agences spatiales publiques constituent l’ossature historique et stratégique de l’imagerie satellitaire. L’Agence spatiale européenne (ESA), à travers le programme Copernicus, opère la série des satellites Sentinel, qui fournissent des données multispectrales et radar en accès libre. La NASA, avec la mission Landsat, et le CNES, via les satellites Pléiades et SWOT, jouent également un rôle central dans la production de données environnementales et hydrologiques à haute valeur ajoutée.

Ces infrastructures publiques répondent à des objectifs multiples : souveraineté technologique, monitoring environnemental, gestion des risques, mais aussi sécurité et géopolitique. Leur politique de données ouvertes (notamment Copernicus et Landsat) favorise la recherche, l’innovation et l’accès équitable à l’information, tout en soutenant les politiques publiques.

Acteurs privés : la dynamique de marché et d’innovation 

Le secteur privé joue un rôle moteur dans l’évolution de l’imagerie satellitaire, en combinant innovation technologique, agilité commerciale et diversification des usages. Aux côtés des startups comme Planet Labs, ICEYE, Satellogic ou Capella Space, les acteurs industriels historiques tels que Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space occupent une place encore centrale.

Airbus, avec ses constellations Pléiades et Pléiades Neo, propose des images à très haute résolution utilisées dans des domaines aussi variés que la défense, l’urbanisme ou la gestion des catastrophes. En ce sens, l’entreprise investit massivement dans la R&D, notamment sur les capteurs intelligents et le traitement embarqué. Thales Alenia Space, quant à lui, est impliqué dans de nombreux programmes européens et internationaux, en particulier dans la conception de satellites d’observation et de missions duales (civiles et militaires).

Ces entreprises coexistent avec une nouvelle génération d’acteurs qui misent sur des constellations de petits satellites à haute revisitabilité et des services par abonnement, répondant à une demande croissante en agriculture de précision, finance, climat et sécurité. Cette dynamique commerciale stimule l’innovation : miniaturisation des capteurs, intelligence artificielle embarquée, traitement edge. Mais elle soulève aussi des enjeux de standardisation, d’interopérabilité et d’accès équitable aux données, notamment pour les institutions publiques ou les pays à ressources limitées.

Une interdépendance croissante public/privé 

La frontière entre acteurs publics et privés tend à s’estomper, au profit de partenariats hybrides qui renforcent l’efficacité et l’agilité du secteur spatial. Les plateformes de mutualisation des données, telles que DIAS Copernicus, Data Terra ou Google Earth Engine, illustrent cette convergence : elles permettent de centraliser des volumes massifs d’images issues de sources variées, publiques comme commerciales, et de les rendre accessibles à un large éventail d’utilisateurs.

Des projets de co-développement incarnent également cette dynamique. Un exemple récent de cette interdépendance est le lancement réussi du satellite météorologique MetOp-SG-A1 le 12 août 2025, à bord du lanceur Ariane 6 depuis le Centre spatial guyanais. Ce satellite, développé par Airbus Defence and Space pour le compte d’EUMETSAT, embarque des instruments de pointe tels que IASI-NG et Sentinel-5, destinés à améliorer la précision des prévisions météorologiques et le suivi des variables climatiques. Ce projet incarne la complémentarité entre les capacités industrielles d’Airbus, l’expertise institutionnelle d’EUMETSAT et l’infrastructure de lancement européenne opérée par Arianespace. Il illustre la montée en puissance d’un écosystème spatial européen fondé sur des partenariats hybrides, au service de la souveraineté technologique et de la résilience climatique.

Cependant, cette interdépendance soulève aussi des défis structurels. Ces défis se traduisent concrètement par des limitations d’accès aux images à très haute résolution, comme le montre le dispositif DINAMIS, réservé à des entités spécifiques. Par ailleurs, l’absence de standards communs freine l’interopérabilité des données spatiales, rendant difficile leur exploitation croisée entre missions ou institutions. Enfin, la dépendance à des infrastructures de calcul énergivores et à des technologies propriétaires soulève des enjeux de durabilité et de souveraineté numérique. Il devient donc essentiel de renforcer les cadres de gouvernance, d’interopérabilité et de souveraineté, afin de garantir un écosystème spatial équilibré, durable et résilient.

Comment évolue l’imagerie satellite : les axes de recherches d’aujourd’hui et demain

Des capteurs embarqués toujours plus performants

L’un des principaux axes de recherche en observation de la Terre porte sur l’accroissement des performances des capteurs embarqués. Ceux-ci conditionnent à la fois la qualité des données acquises, leur fréquence de récolte, leur pertinence et leur potentiel d’exploitation automatisée.

Typologie des capteurs

Les satellites d’observation de la Terre embarquent aujourd’hui une large variété de capteurs, répondant à des logiques physiques et à des usages opérationnels différenciés :

  • Capteurs optiques : ils se divisent entre frame sensors, qui capturent des images instantanées, et scanner sensors (push broom ou whisk broom), qui balaient la surface ligne par ligne. Les premiers offrent une couverture spatiale rapide, tandis que les seconds sont adaptés à la haute résolution et à la cartographie précise.
  • SAR (Radar à synthèse d’ouverture) : technologie active reposant sur l’émission et la réception d’ondes radar, permettant l’imagerie quelle que soit la couverture nuageuse ou l’illumination solaire. Ces capteurs sont particulièrement prisés pour la surveillance de zones polaires ou forestières, et font l’objet de développements récents sur des plateformes miniaturisées.
  • Capteurs hyperspectraux et multispectraux : ces instruments permettent de discriminer finement les signatures spectrales d’un matériau ou d’une couverture terrestre, ouvrant la voie à des analyses avancées (stress hydrique, pollution, biomasse). Les capteurs hyperspectraux couvrent plus de 100 bandes avec une résolution spectrale inférieure à 10 nm.

Résolutions en tension

La performance d’un capteur embarqué dépend de plusieurs paramètres interdépendants :

  • Résolution spatiale : la Ground Sampling Distance (GSD) varie de 30 cm pour les systèmes très haute résolution (comme Pléiades Neo) à plusieurs dizaines de mètres pour les instruments à large fauchée.
  • Résolution temporelle : la revisitabilité d’un site (<12 h pour certaines constellations) est un critère clé pour les usages dynamiques comme l’agriculture ou la gestion des catastrophes.
  • Résolution spectrale : on distingue les systèmes multispectraux (10–15 bandes) des systèmes hyperspectraux (plus de 100 bandes fines), qui permettent une détection fine des compositions de surface.

Ces trois types de résolution sont corrélés à la taille des capteurs, à la capacité de traitement à bord et au volume de données généré.

Limites actuelles

Malgré les progrès récents, plusieurs verrous technologiques persistent :

  • Le volume de données généré, en particulier pour les images hyperspectrales ou les imageries SAR à haute fréquence, constitue un défi pour la bande passante satellite-sol.
  • Le traitement embarqué reste indispensable pour limiter la latence et filtrer l’information utile, mais il implique des choix de compromis entre performance, consommation énergétique et robustesse.
  • Le coût énergétique des capteurs complexes (SAR, hyperspectral) impose une optimisation constante des cycles d’acquisition et des modes opératoires, en particulier sur les petits satellites.

Tendances technologiques émergentes

Afin de dépasser ces limitations, la recherche actuelle s’oriente selon trois axes complémentaires :

  • Miniaturisation : les progrès en optoélectronique permettent aujourd’hui d’embarquer des capteurs performants sur des plateformes de type CubeSat (1U à 6U). Des démonstrateurs de SAR ou d’hyperspectral miniaturisés ont ainsi été testés avec succès.
  • Capteurs intelligents : l’intégration de réseaux de neurones compacts directement à bord des satellites permet de filtrer, classer ou alerter sans passer par le sol. Gaétan Bahl a montré l’efficacité de modèles comme C-FCN ou ScannerNet pour de telles tâches en orbite.
  • Capteurs adaptatifs : une avancée récente réside dans la capacité d’un capteur à adapter dynamiquement ses paramètres d’acquisition en fonction du contexte observé (zone d’intérêt, conditions météorologiques, disponibilité énergétique). Cette approche dite « context-aware sensing » optimise la couverture tout en réduisant la charge utile transmise.

Le traitement des données collectées : l’IA au cœur des chaînes embarquées

Face à l’explosion des volumes d’images générées par les satellites, le traitement des données devient aussi essentiel que leur acquisition. Cette section explore pourquoi l’intelligence artificielle embarquée devient un levier incontournable de la chaîne de valeur spatiale, quelles sont les principales technologies utilisées, et dans quelles conditions elles sont mises en œuvre aujourd’hui à bord de véritables missions orbitales.

Réduire la latence, limiter la bande passante, accroître la réactivité : les fonctions critiques de l’IA embarquée

L’intégration de traitements basés sur l’intelligence artificielle directement à bord des satellites répond à une série de contraintes opérationnelles qui ne cessent de se renforcer avec l’évolution du secteur. Tout d’abord, le délai entre acquisition et exploitation constitue un paramètre critique, notamment dans les contextes de catastrophe naturelle, de surveillance militaire ou de suivi agricole en temps réel. En analysant les données à bord, l’IA permet de raccourcir drastiquement la boucle entre observation et décision, en générant des alertes ou des produits dérivés immédiatement exploitables.

Deuxième avantage : l’optimisation des flux de données. Dans un contexte où les débits entre satellite et sol restent limités, filtrer en amont les images inutilisables (présence de nuages, redondance spatiale) ou extraire directement des indicateurs (masques, classes, contours) permet de réduire la charge sur la bande passante et les systèmes de stockage terrestres. Ainsi, seules les données jugées pertinentes ou critiques sont transmises, avec un gain en efficacité et en consommation énergétique.

Enfin, l’IA embarquée accroît la réactivité des services spatiaux en permettant aux satellites de s’adapter dynamiquement à leur contexte. Par exemple, un réseau neuronal peut détecter un incendie dans une zone forestière et déclencher de manière autonome une acquisition en haute résolution sur la zone concernée, sans attendre une commande depuis le sol. Ce paradigme ouvre la voie à des satellites véritablement autonomes, capables de réagir de manière intelligente à des événements non planifiés.

Des architectures logicielles et matérielles adaptées aux contraintes orbitales

La mise en œuvre de traitements IA embarqués nécessite une adaptation profonde aux environnements contraints des systèmes spatiaux. Les algorithmes doivent être non seulement précis et robustes, mais aussi compacts, peu gourmands en énergie, tolérants aux fautes et facilement implémentables sur des composants à faible puissance.

Sur le plan algorithmique, les réseaux de neurones déployés en orbite reposent majoritairement sur des architectures légères et optimisées, comme les Convolutional Fully Connected Networks (C-FCN), les C-UNet ou des variantes compactes de modèles classiques. Ces réseaux sont conçus pour fonctionner en temps réel sur des jeux de données multispectrales ou hyperspectraux à bord, avec des capacités d’inférence de l’ordre de quelques centaines de millisecondes.

Du point de vue matériel, ces réseaux sont généralement exécutés sur des composants embarqués comme des System-on-Chip (SoC), des Field-Programmable Gate Arrays (FPGA), ou des Vision Processing Units (VPU) spécialisés, comme le Movidius Myriad 2 d’Intel. Ce dernier, embarqué par la mission PhiSat-1, constitue l’un des premiers exemples d’IA opérationnelle dans l’espace. Capable de 1 TOPS (trillion operations per second) pour une consommation inférieure à 1W, il permet de filtrer les images nuageuses à bord, économisant jusqu’à 30 % de bande passante en aval.

La convergence entre optimisation logicielle et spécialisation matérielle devient ainsi un facteur clé de succès pour le déploiement à grande échelle de l’IA en orbite. Les projets actuels, comme OPS-SAT ou Intuition-1, démontrent que des réseaux neuronaux spécialisés peuvent fonctionner de manière fiable dans des environnements spatiaux agressifs, tout en fournissant des résultats exploitables à très faible latence.

Des démonstrateurs en orbite pour valider les chaînes IA embarquées

Plusieurs missions ont permis de valider les performances des traitements IA embarqués dans des conditions réelles. PhiSat‑1, lancé par l’ESA en 2020, constitue une première mondiale en embarquant une puce Intel Movidius Myriad 2 capable d’identifier les zones nuageuses sur les images acquises. Ce prétraitement permet de ne transmettre que les portions d’images exploitables, réduisant significativement les flux à descendre vers le sol.

Autre exemple clé, OPS‑SAT, également développé par l’ESA, sert de plateforme d’expérimentation logicielle en orbite. Il a démontré la possibilité de déployer dynamiquement des réseaux neuronaux sur FPGA et d’y exécuter des tâches de détection de nuages ou d’anomalies en télémétrie. La publication récente de la base de données OPSSAT-AD a par ailleurs permis la mise en place de compétitions open data pour la détection d’anomalies en orbite, renforçant la communauté de recherche autour de ces thématiques.

Enfin, la mission Intuition‑1, lancée par KP Labs, embarque un système de traitement hyperspectral autonome. Doté d’un VPU capable de délivrer plus de 3 TOPS, il exécute en orbite des réseaux profonds pour la classification de surfaces terrestres, validant ainsi le concept de machine learning appliqué à des capteurs complexes et à fort volume de données.

Les obstacles techniques et technologiques actuellement rencontrés dans ce champ de R&D

Malgré ces avancées, plusieurs défis freinent encore la généralisation de l’IA embarquée. Le premier concerne la consommation énergétique, notamment pour les traitements sur données hyperspectrales ou SAR. Les composants COTS, s’ils sont performants, doivent être adaptés aux exigences de l’environnement spatial : robustesse aux rayonnements, tolérance aux fautes, dissipation thermique.

Un second verrou tient à la mise à jour des modèles en vol. L’adaptation des réseaux aux conditions changeantes — couverture nuageuse, évolution saisonnière, changements anthropiques — implique des capacités de reprogrammation à distance. Des solutions comme le NanoSat MO Framework, testé sur OPS‑SAT, permettent de télécharger et d’exécuter de nouveaux modèles de manière sécurisée, mais la question de la validation en orbite reste ouverte.

Enfin, le déploiement opérationnel de ces chaînes IA soulève des enjeux d’interopérabilité logicielle. Pour garantir la pérennité des solutions et leur intégration dans les missions futures, il devient nécessaire de définir des standards ouverts, interagissant avec les infrastructures au sol et les services aval.

L’application de ces technologies aux enjeux sociétaux contemporains

Les enjeux climatiques : vers une imagerie satellitaire au service de la transition environnementale

L’imagerie satellite est devenue un outil fondamental pour documenter et anticiper les effets du changement climatique à l’échelle planétaire comme locale. Par la diversité de ses capteurs et la richesse de ses modalités d’observation (spatiale, temporelle, spectrale, thermique), elle offre une capacité unique de surveillance des systèmes naturels en temps quasi réel. Ce potentiel est mobilisé dans de nombreux champs : suivi de la déforestation, observation du couvert neigeux et des glaciers, quantification des surfaces brûlées lors d’incendies, ou encore cartographie du stress hydrique et des rendements agricoles.

L’intégration de ces données dans des chaînes automatisées de traitement permet la production d’indicateurs exploitables pour les politiques publiques, mettant encore en avant la pertinence des collaborations public/privé dans ce secteur : estimation du carbone forestier, détection d’îlots de chaleur urbains, cartographie des zones à risque (inondation, sécheresse), ou encore évaluation de l’artificialisation des sols. Ces produits dérivés, issus du traitement de données multisources (optique, SAR, hyperspectrale), sont d’autant plus pertinents lorsqu’ils sont produits avec une faible latence et dans un format directement mobilisable par les acteurs opérationnels (collectivités, agences environnementales, services techniques).

Cependant, cette promesse technique se heurte encore à plusieurs verrous structurels :

  • La résolution temporelle demeure limitée pour certains satellites publics (par exemple Sentinel-2, avec une revisitabilité de cinq jours en moyenne), limitant leur efficacité pour la détection d’événements extrêmes à déclenchement rapide.
  • Le coût des images à très haute résolution (VHR), majoritairement issues d’acteurs commerciaux, constitue un obstacle pour les pays ou structures à budget restreint.
  • La complexité de traitement des données brutes nécessite encore des compétences spécialisées, peu accessibles aux utilisateurs finaux dans un contexte localisé.

C’est dans ce contexte que se développe une approche intégrée, combinant télédétection, modélisation environnementale, intelligence artificielle embarquée ou au sol, et co-conception des indicateurs avec les usagers. Cette transition vers une imagerie orientée “décision environnementale” se traduit déjà par des initiatives concrètes portées par des entreprises spécialisées.

TerraNIS, entreprise française fondée en 2014, illustre cette mutation vers des services climatiques opérationnels fondés sur l’imagerie satellite. Elle développe des chaînes de traitement orientées “produits” à destination des collectivités territoriales et du monde agricole. Dans le cadre du programme “Plan 50 000 arbres” dans le Val-de-Marne, TerraNIS a produit des cartographies évolutives de la couverture arborée à partir d’images Sentinel-2, combinées à des données de LiDAR, afin de suivre l’impact réel des plantations urbaines sur la régulation thermique et la séquestration carbone. Ces analyses ont permis une évaluation dynamique de l’efficacité des politiques de végétalisation urbaine.

En parallèle, TerraNIS a conçu avec le Cerema un outil de diagnostic automatisé des îlots de chaleur urbains (ICU), reposant sur la plateforme Landia (ex-GreenCity). Cet outil mobilise des indicateurs combinant données thermiques, albédo, végétation et morphologie urbaine pour identifier les zones les plus vulnérables à la surchauffe estivale. Ces cartes opérationnelles sont aujourd’hui utilisées par plusieurs collectivités dans leur stratégie d’adaptation climatique.

De son côté, GENESIS, autre entreprise française, se positionne à l’intersection de la télédétection, de l’agriculture de précision et de la datascience climatique. Sa plateforme intègre des données satellites (Sentinel, Pléiades, Capella), météorologiques et agronomiques pour fournir des indicateurs intelligents en temps réel aux filières agricoles et viticoles. Ces services comprennent par exemple :

  • Le suivi de la biomasse et du stress hydrique des cultures en intra-parcellaire ;
  • La prévision de rendement par modèle agro-climatique entraîné sur imagerie multitemporelle ;
  • Des alertes agro-météo localisées, intégrant des anomalies satellitaires (NDVI, température de surface) ;
  • Le scoring carbone des exploitations, à partir d’indicateurs d’usage des sols et de captation végétale.

Ces cas concrets montrent que les applications climatiques pertinentes actuelles émergent souvent d’une hybridation entre ressources publiques et innovation privée. Que ce soit par l’accès à des images libres (Copernicus, Sentinel) ou par la mutualisation des infrastructures via des plateformes comme DIAS, ces solutions s’ancrent dans une dynamique d’interdépendance technologique et stratégique entre les grands programmes institutionnels et l’agilité des entreprises innovantes.

Ainsi, l’imagerie satellite climatique contemporaine ne peut être pensée ni comme un pur outil public, ni comme une solution exclusivement commerciale. Elle repose sur une gouvernance partagée des données, sur des standards ouverts, et sur la capacité à transformer la donnée brute en produit final adapté à des besoins locaux. C’est à cette condition que les promesses de la géo-intelligence climatique pourront réellement contribuer à la transition écologique des territoires.

Loin de se limiter à l’environnement, cette capacité d’observation omniprésente s’étend aux champs régaliens : elle devient un actif critique dans la gestion des conflits, la surveillance stratégique et l’affirmation de la souveraineté orbitale.

Les enjeux géopolitiques et sécuritaires : vers une souveraineté orbitale renforcée

Au-delà de l’environnement, l’imagerie satellite constitue aujourd’hui un outil de souveraineté stratégique. Elle permet une surveillance autonome des frontières, le suivi discret des déploiements militaires, la détection de mouvements de troupes ou encore la documentation d’opérations clandestines. Cette capacité est particulièrement critique dans un contexte de recomposition géopolitique, de guerres hybrides et de dépendance informationnelle vis-à-vis des grandes puissances.

L’exemple le plus récent date de juin 2025 : c’est celui du consortium Intermarsat, conduit par l’Ukraine, qui prévoit le déploiement d’une constellation souveraine de satellites d’observation d’ici 2028. Ce programme, développé avec des partenaires européens et asiatiques, vise explicitement à réduire la dépendance de l’Ukraine vis-à-vis des capacités d’imagerie fournies par les États-Unis. Il comprend des satellites VHR optiques et radar, et s’appuie sur un segment sol basé sur l’architecture open-source OpenCosmos.

De telles initiatives traduisent un basculement stratégique : l’accès autonome à l’imagerie devient un attribut de puissance. Dans cette logique, de nombreux États développent ou modernisent leur propre segment spatial d’observation (France avec CSO, Allemagne avec SARah, Corée du Sud avec Kompsat-6), tout en sécurisant leurs canaux de transmission et d’analyse.

Par ailleurs, les conflits récents ont révélé la capacité des données satellitaires commerciales à jouer un rôle diplomatique. Des images issues de sociétés privées comme Maxar ou BlackSky ont été mobilisées dans des cadres judiciaires (preuves de crimes de guerre) ou médiatiques (documentation d’exactions), questionnant leur statut juridique et leur fiabilité comme sources de vérité géopolitique.

Enfin, la militarisation de l’espace et le brouillage de satellites d’observation en orbite basse (LEO) posent des défis nouveaux. L’émergence de solutions de « camouflage spectral », ou de satellites mimétiques capables d’échapper à la détection, représente un nouveau front technologique pour les puissances spatiales. La recherche actuelle explore des systèmes de télédétection robustes face au brouillage, combinant multi-capteurs, IA embarquée et redondance orbitale pour maintenir une couverture constante et fiable.

Synthèse et guichets de financement

Pour conclure, le secteur de l’imagerie satellitaire est passionnant à étudier tant sur le plan technique et technologique que sur le plan stratégique. Domaine en pleine mutation, il montre comment les synergies peuvent être efficaces entre le public et le privé, mais aussi comment les applications de nouvelles technologies innovantes servent le façonnage du monde d’aujourd’hui et de demain.

Montrant son rôle de plus en plus crucial dans nos sociétés, de nombreux financements sont ouverts pour soutenir la filiale, et ce à différentes échelles et pour toutes tailles de projets. Voici ci-dessous une sélection de guichets actuels :

Actuellement, au niveau national (BPI notamment), il y a eu l’annonce en début d’année de lauréats des différents Appels A Projets (APP) de ce domaine, mettant en lumière la variété des acteurs qui remportent ces financements : France 2030 : annonce de 7 nouveaux lauréats des appels d’offres du volet spatial.

Par ailleurs, plusieurs guichets intéressants au niveau européen sont actuellement ouverts :

  • EU Funding & Tenders Portal « Copernicus Anthropogenic CO₂ Emissions Monitoring & Verification Support (CO2MVS) capacity: new and innovative methods to estimate the impact of fires on vegetation and related carbon fluxes »
  • EU Funding & Tenders Portal « Innovative Earth observation services in support of maritime litter detection and ship source pollution policies »
  • EU Funding & Tenders Portal « Copernicus Marine Environment Monitoring Service (CMEMS) evolution: new and innovative ocean data assimilation techniques »
  • EU Funding & Tenders Portal « Space Critical Equipment and Related Technologies for EU non-dependence – Chip Scale Atomic Clocks and Solar Cells »
  • EU Funding & Tenders Portal « Digital enablers and building blocks for Earth Observation and Satellite telecommunication for Space solutions »
  • EU Funding & Tenders Portal « Copernicus Climate Change Service (C3S) evolution: new and innovative processing and methods for future Sentinels and other satellites for reanalyses »
  • EU Funding & Tenders Portal « Integrated and coordinated approaches for coral reefs and associated ecosystems (mangroves and seagrass beds) conservation, restoration, and climate mitigation and adaptation »
  • EU Funding & Tenders Portal « Enhancing sustainability and resilience of agriculture, forestry and rural development through digital twins »

ABGi est expert en financement de la recherche et de l’innovation et accompagne de nombreux acteurs de l’aérospatial. N’hésitez pas à nous contacter pour en discuter.

Bibliographie

 

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