Point d’étape | Projet de Loi de finances 2025
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Par Baptiste LERNER, Consultant en financement de l’innovation
À l’aune des années 2010, le secteur bancaire se restructure en profondeur. Les conséquences de la crise financière de 2008 (Quantitative Easing impactant les taux directeurs, émergence des Fintechs, ubérisation du secteur financier…) ont eu pour effet de remodeler certains fondamentaux du marché.
Pour autant, le contexte actuel de remontée des taux directeurs semble recentrer le monde bancaire sur son activité historique : la production de crédits. Cette remontée des taux impacte les activités de banque de détail en rognant la Marge nette d’intérêt (MNI). À savoir la différence entre le taux auquel la banque prête de l’argent et le taux auquel elle se refinance auprès de la banque centrale.
Outre cette hausse des taux d’intérêt directeurs, le monde bancaire subit (ou va subir) l’impact de trois autres tendances :
En outre, si les nouvelles évolutions technologiques représentent une opportunité, elles peuvent également constituer une menace. En particulier si elles se trouvent exploitées à finalité délictueuse comme l’illustre la carte des tendances frauduleuses par région en Figure 1.
Les acteurs bancaires français et internationaux doivent répondre à ces défis de fond par des contremesures novatrices. C’est dans cette perspective que l’innovation ainsi que la R&D représentent des leviers de résilience majeurs. Ce contexte difficile implique notamment d’approfondir les connaissances client par des politiques de KYC affinées. Si l’exploitation des données est depuis toujours un enjeu critique du secteur, cette règle est plus valable que jamais. La structuration d’outils de prospective est également au cœur des feuilles de route des départements statistiques de tous les acteurs bancaires. D’autres thématiques clés sont prises en compte : Rationalisation et sécurisation des infrastructures réseau, affranchissement du legacy, redesign de la relation client par le déploiement de nouveaux canaux d’interaction (CallBots, bornes d’accueil augmentées, etc.), sécurisation des données et des accès (définition de nouveaux systèmes de credentials, adoption de mécanismes d’encryption plus robustes pour le transit des données bancaires, etc.), exploration de nouveaux paradigmes technologiques dans le secteur bancaire (IA, architectures cloudifiées, généralisation de la containerisation, développements d’assistants virtuels intelligents pour les collaborateurs en agence, etc.), sécurisation des moyens de paiement, etc.
Plus que jamais, la maitrise technologique constitue un avantage compétitif majeur dans le monde bancaire. En mai 2023, IDC Survey mettait en exergue que 83,2 % des acteurs bancaires de la région Asie – Pacifique avaient prévu d’accroitre leur budget technologie.
L’un des premiers axes de développement expérimental porte sur les enjeux de Data Science. La collecte de données variées et issues de sources nombreuses est un sujet largement maitrisé par l’adoption massive de l’Open Banking. L’exploitation des données disponibles est inhérente à l’activité bancaire : par la nature de son activité, la banque procède à « la transformation des ressources à court terme en crédits à moyen et long terme ». Cette activité de transformation implique d’une part un pilotage affiné et d’autre part une vision élargie. Un pilotage qui doit être idéalement prédictif, permis par une analyse approfondie des données. Les banques d’investissement et les banques de détail ont ainsi investi ce domaine afin d’affiner leurs approches concernant principalement :
Les approches traditionnelles qui vont à l’encontre de la cybersécurité connaissent aujourd’hui un renforcement par divers biais, en particulier les algorithmes dits « d’intelligence artificielle » et les algorithmes permettant l’exploitation de données massives. Plus que jamais, ce sont ces données qui permettent de lever les barrières de protection des SI bancaires. Les chiffres partagés par IBM sont à ce titre éloquents : en 2023, le coût de fuites de données était en moyenne évalué à 4,45 millions d’euros.
En d’autres termes, les enjeux actuels du monde bancaire impliquent divers leviers de transformation. Parmi ceux‑ci, l’exploitation pertinente des données constitue un maillon critique de la chaine de valeur bancaire. Maillon qui ne peut être pertinent sans travaux de Data Engineering et de R&D approfondis.
L’émergence des paradigmes de blockchain, de big data, d’intelligence artificielle ou encore d’informatique quantique ne sont que les déclinaisons actuelles d’une tendance inhérente au monde bancaire : définir de nouveaux moyens de capter et d’exploiter la donnée est une question de survie dans la compétition bancaire mondiale. C’est dans cette mesure que la R&D appliquée à la Data Science est une composante vitale des acteurs du monde bancaire.
Du fait de la crise Covid, les dépôts à vue ont connu une forte appréciation. Ce n’est qu’au début de l’année 2024 que le marché est revenu au niveau d’avril 2020.
Cet accroissement a impliqué un accroissement de la concurrence sur le marché de la banque de détail, afin de capter le surplus de liquidité thésaurisé par les ménages, et de le transformer en épargne à moyen long terme. Dans cette mesure, les projets d’innovation et de développement expérimental visant à maximiser l’expérience client sont portés aux pinacles par les services technologiques des organismes bancaires. Dans un monde où les taux directeurs sont accrus, cet impératif est d’autant plus prégnant que la fuite des dépôts à vue est synonyme d’une raréfaction des ressources.
Les leviers d’action ont porté en particulier sur l’analyse des clients et du développement d’outils d’assistance aux clients et aux conseillers. Qu’il s’agisse de développer des assistants métiers à l’instar de Cora de NatWest Bank ou de Morgan Stanley, l’exploitation de la donnée est rapprochée du métier. Dans le premier cas, Cora doit permettre au conseiller de répondre aux demandes les plus complexes des clients sans avoir à procéder à une escalade de service. Dans le second cas, l’outil développé en partenariat avec Open AI doit faciliter l’accès à des données client qualifiées, et ce, rapidement. Dans tous les cas, il s’agit d’appuyer les fonctions métier dans leur production quotidienne. À terme, cet appui permettra un gain de pertinence des actions bancaires et ainsi de maximiser la rétention de la clientèle ainsi que la rentabilité : le temps économisé sur des actions sans valeur ajoutée (tri de mails, recherche dans le repository, etc.) peut alors être investi dans des actions de fidélisation de la clientèle et de conseil bancaire à plus haute valeur ajoutée.
De tels axes de développement supposent un effort de développement expérimental du fait de l’émergence de nouveaux paradigmes de relation client. À l’échelle de la banque, les travaux sur la donnée et sur le développement de briques technologiques d’assistance à la relation client impactent également le Core Banking system.
Le Core Banking système est un sujet de premier ordre au sein de nombreuses institutions bancaires depuis plusieurs décennies. Les plus grandes banques s’appuient en effet sur l’informatique depuis le début des années 1980. C’est dans cette mesure que le host (ou système legacy) peut être composé de briques aussi robustes qu’anciennes à l’instar de la solution AS-400 d’IBM. Compte tenu de l’orientation objet de l’OS/400, de la stabilité de l’environnement, du paradigme de stockage des objets adapté aux volumétries pléthoriques, AS-400 n’a pas été décommissionné dans nombre d’institutions financières majeures.
Cependant, l’émergence de paradigmes technologiques plus actuels a conduit à une superposition de couches multigénérationnelles sur le host : avec des composants Java (version 1.0.2 à 9.0.4 aujourd’hui), puis des machines virtuelles, des containers, pavant progressivement la voie vers un univers cloudifié.
Plusieurs axes de complexité technologiques en résultent :
Concernant le dernier point, l’émergence d’un cloud souverain européen est au point mort. Pour autant, cela implique-t-il que les acteurs bancaires européens seraient condamnés à louper le train du cloud ? À se faire ostraciser par leurs concurrents d’outre-Atlantique ? Ou bien à accepter qu’une épée de Damoclès pèse sur l’intégrité de leurs données en adoptant des solutions cloud états-uniennes ?
La vérité ne se situe dans aucune de ces options et l’avenir repose sur des efforts de développement expérimental. Notamment en adoptant des architectures cloudifiées hybrides et en assurant une maitrise des briques technologiques et des données les plus sensibles (données de paiement, credentials, tokens d’identification, etc.). Le développement d’approches visant à chiffrer l’ensemble des données transitant par les Clouds providers constitue une voie de sortie remarquable. De sorte que ces clouds providers n’ont pas la maitrise des données, ces dernières étant encryptées de bout en bout. En France, Thalès a investi ce chantier avec succès en développant un arsenal de Cloud Encryption Solutions. Si la pertinence des travaux de Thalès est sans appel, la spécificité des Core Banking systems ne peut permettre une transposition sans travaux de recherche préalables.
Les acteurs du monde bancaire sont soumis à des pressions concurrentielles, systémiques et conjoncturelles croissantes. L’émergence de nouvelles menaces peut toutefois coïncider avec l’avènement d’opportunités technologiques, sous réserve d’y avoir préparé l’organisme bancaire. Parmi les leviers dont disposent les banques pour réaliser cet alignement, le déploiement d’initiatives de R&D constitue un atout essentiel voire vital.
L’acuité des dynamiques de développement expérimental dans le secteur bancaire est aujourd’hui difficilement contestable d’un point de vue technologique. Si elles ne sont pas remises en question sur cet axe, il n’en demeure pas moins que la feuille de route de certains groupes politiques vise à reconsidérer le soutien public des démarches de R&D dans ce secteur, pourtant stratégique..
Le secteur bancaire français a un poids économique majeur au niveau européen et mondial. Les onze établissements importants français représentaient ainsi 35 % du total de bilan des banques supervisées directement par la Banque centrale européenne dans le cadre du mécanisme de surveillance unique fin 2022. En outre, parmi les 30 entités d’importance systémique mondiale, quatre sont françaises et sept groupes français sont des établissements d’importance systémique au niveau national.
Dans un contexte d’intensification de la concurrence, d’accroissement des menaces (économiques, géopolitique, concurrence,…) le soutien public à la recherche bancaire est plus que jamais indispensable à la lumière des enjeux technologiques stratégiques auxquels est confronté le secteur.
Bibliographie
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