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Voilà près d’un demi-siècle, depuis la découverte de la structure de l’ADN, que la recherche attendait un tel outil.
Puissante, facile à mettre en oeuvre, peu onéreuse, la technologie CRISPR/Cas9 permet de supprimer, modifier ou ajouter des gènes à la demande, chez quasiment n’importe quel organisme vivant (êtres humains compris) de façon rapide et précise.
En seulement quelques années, la technologie CRISPR/Cas9 a bouleversé la biologie. Technique phare d’édition du génome, elle a en effet été déclarée découverte scientifique de l’année 2015 par la revue Science. En août 2015, Bill Gates a investi 120 millions de dollars dans la société Editas Medicine. La société utilise cet outil pour des applications en médecine. Plusieurs équipes de recherches ont depuis publié de nombreuses applications de cette technique, dans de nombreuses espèces, partout dans le monde.
Le génome, mot formé à partir des mots « gène » et « chromosome », est l’ensemble de l’information génétique présente dans chaque cellule de chaque organisme vivant et nécessaire au développement et au fonctionnement de cet organisme. Le génome peut par exemple s’apparenter au « mode d’emploi » du fonctionnement des cellules.
Les génomes de pratiquement tous les êtres vivants sont construits d’ADN. Très schématiquement, le génome est un livre. Les chromosomes sont les chapitres du livre, les gènes sont les phrases du livre et l’ADN représente les lettres qui forment les mots et les phrases.
La technique CRISPR/Cas9 existe à l’état naturel dans les bactéries et permet de modifier facilement et précisément l’ADN.
Mis au jour en 1987 sur la bactérie Escherichia coli par A.Nakata et son équipe de l’Université d’Osaka, les CRISPR, séquences d’ADN répétitives dans le génome des bactéries, ne suscitent au début qu’un faible intérêt.
Puis en 2005, d’autres recherches montrent que les morceaux d’ADN intercalés entre ces séquences CRISPR sont souvent des morceaux d’ADN de virus capables d’infecter les bactéries. En 2007, des chercheurs de l’entreprise agroalimentaire danoise Danisco découvrent que certaines bactéries survivent mieux aux infections virales lorsqu’elles possèdent des séquences CRISPR.
Néanmoins, la «révolution CRISPR» a réellement démarré en 2012. La française Emmanuelle Charpentier, en tandem avec la chercheuse américaine Jennifer Doudna, a notamment démontré que les ADN viraux des séquences CRISPR sont dupliqués en plus petites molécules nommées ARN qui s’arriment à une enzyme-scalpel nommée Cas9.
Tout d’abord une protéine « découpeuse » d’ADN (Cas9) mais aussi, un petit brin d’ARN, dit «ARN-guide ». Comme son nom l’indique, il guide l’enzyme Cas9 sur la section du ruban d’ADN que l’on souhaite découper. Avec le système Crispr-Cas9, cible l’ADN au niveau d’un gène donné, le sectionner, lui substituer un variant, comme on remplace une pièce de Lego par une autre, devient un jeu d’enfant.
Il est ainsi possible de retoucher ou récrire le génome d’un organisme vivant. Ceci avec la même facilité et la même souplesse d’utilisation qu’un couper-coller dans un traitement de texte. Emmanuelle Charpentier a d’ailleurs déclaré que «Tout étudiant en biologie de niveau master qui dispose des équipements standards d’un laboratoire est à même de manipuler le système Crispr-Cas9 pour éliminer un gène».
Source : CNRS
La technique CRISPR/Cas9 est principalement utilisée en recherche fondamentale. Son emploi s’est répandu rapidement notamment dans les laboratoires.
En santé, si la thérapie génique existe depuis trente ans, les applications en médecine humaine sont restées très limitées. Les applications thérapeutiques potentielles des CRISPR occupent tous les esprits. Les chercheurs ambitionnent également de pouvoir guérir certaines maladies pour lesquelles il n’existe aujourd’hui pas ou peu de traitements.
En mars 2014, des chercheurs du MIT ont utilisé CRISPR/Cas9 pour corriger une maladie génétique incurable du foie : la « tyrosinémie » (en effectuant le remplacement du gène déficient par sa forme saine). Il y a quelques mois, une autre équipe américaine de l’Université Johns Hopkins à Baltimore, a réussi pour sa part à corriger, dans les cellules souches de sang, la mutation génétique responsable de l’anémie falciforme.
Plus récemment, l’équipe de Jacques-P. Tremblay, de la Faculté de médecine et du CHU de Québec-Université Laval, publiait un article dans lequel elle explique avoir utilisé la technologie CRISPR/Cas9 pour réparer le gène responsable de la dystrophie musculaire de Duchenne dans des cellules humaines cultivées en laboratoire.
Par ailleurs, en agronomie, des chercheurs chinois et britanniques ont publié en 2015 des résultats démontrant qu’il est possible, pour des espèces de riz et d’orge, de modifier des gènes grâce à CRISPR/Cas9, d’introduire cet outil au moyen d’un transgène qui ne s’intègre pas au génome et de le voir disparaître dans les générations suivantes. Les plantes « éditées » ainsi produites transmettent la modification génétique à leur descendance et ne présentent aucune trace génétique de cette intervention. Elles ne diffèrent donc pas des plantes présentant une variation naturelle dans l’un de leurs gènes et ne peuvent pas être qualifiées d’OGM.
L’exploitation de cette technologie en agronomie est loin d’être achevée… Il y a quelques jours, la firme Monsanto, spécialisée dans les biotechnologies agricoles, a acquis la licence d’exploitation du système CRISPR/Cas9 au centre de recherche biomédicale et génomique (le Broad Institute du MIT et d’Harvard). Ceci notamment dans le but de créer de nouvelles plantes capables de résister à la sécheresse et à certains insectes.
Les applications de l’édition du génome semblent donc multiples : guérir les maladies rares et héréditaires, rendre les animaux plus résistants aux maladies, supprimer les espèces de moustiques vecteurs de parasites, ou encore remplacer les OGM. Le système CRISPR/Cas9 ouvre ainsi un très large champ d’investigation dans les sciences du vivant. Il laisse donc entrevoir des perspectives très prometteuses en recherche.
« The Heroes of CRISPR” Lander ES. Cell. 2016 Jan 14;164(1-2):18-28. doi: 10.1016/j. Cell.2015.12.041. PMID:26771483
« Development and applications of CRISPR-Cas9 for genome engineering” Hsu PD, Lander ES, Zhang F. Cell. 2014 Jun 5;157(6):1262-78. doi: 10.1016/j.cell.2014.05.010.
XU, R-F, et al.(2015). Generation of inheritable and “transgene clean” targeted genome-modified rice in later generations using the CRISPR/Cas9 system. Nature Scientific Reports 5 (article no 11491)
Lawrenson, et (2015).Induction of targeted, heritable mutations in barley and Brassica oleracea using RNA-guided Cas9 nuclease. Genome Biology 16(258) :13
Science et Avenir-Mars 2016-CRISPR/Cas9 : la révolution de la chirurgie du gène
Les Echos, avril 2016-Crispr La découverte qui met la génétique en ébullition
Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats
Par Audrey CHEVROLAT Consultante – Financement de l’Innovation – ACIES