ECOCEM : Une nouvelle étape pour le site de Dunkerque grâce au dispositif « Première Usine »
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Par Alice Durand, Rédactrice Scientifique
L’archéologie vise à étudier les vestiges matériels ayant subsisté au cours du temps. Parmi ces vestiges, les constructions bâties constituent des traces importantes de notre passé. En effet, le patrimoine architectural fournit des informations sur les caractéristiques architecturales et urbaines des civilisations qui les ont construits. L’archéologie du bâti consiste principalement à comprendre les phases de construction, les traces de reprises et de transformation des bâtiments. Elle analyse également l’organisation du chantier, le travail et les techniques des bâtisseurs.
Pendant longtemps, l’archéologie du bâti reposait essentiellement sur des méthodes traditionnelles. Les archéologues procédaient à un relevé « pierre à pierre » des façades permettant de repérer les césures et les phases de construction. Chaque élément (sol, enduit, papier peint, peinture, mur, porte) d’une construction est considéré comme une unité stratigraphique. Les principaux éléments d’étude sont les pierres, les mortiers et les charpentes.
Depuis quelques années, l’archéologie du bâti s’appuie sur de nouvelles techniques comme l’archéométrie, la datation au 14C ou la thermoluminescence. Les technologies actuelles transforment les méthodes de recherche, d’analyse, de conservation et de développement du patrimoine culturel. Elles permettent ainsi de nouvelles approches innovantes. En effet, dans le cadre d’études historiques du bâti ou de projets de restauration, l’intégration multidisciplinaire des données au sein d’un système d’information constitue un point clé.
Parmi les nouvelles technologies ayant révolutionné les domaines de l’archéologie et de la conservation du patrimoine historique, la cartographie numérique et les Systèmes d’Information Géographique (SIG) constituent des innovations importantes.
La cartographie numérique permet la création de représentations détaillées et précises d’un espace ou d’une structure sous forme de données numériques. Ces cartes permettent de modéliser, documenter et visualiser des sites et monuments historiques. Elles intègrent la géographie et la localisation, mais aussi des informations sur l’état de conservation, les matériaux utilisés, et les dégradations observées. Cette technologie s’appuie sur des techniques telles que la photogrammétrie, qui consiste à prendre une multitude d’images sous différents angles pour reconstruire une structure en 3D, et le balayage laser (LiDAR), qui génère des nuages de points très précis permettant de représenter la géométrie d’un site avec une grande exactitude.
Les Systèmes d’Information Géographique (SIG) sont des outils informatiques puissants permettant de capturer, gérer, analyser et visualiser des données spatiales et géographiques. Ils sont devenus essentiels pour la gestion, la documentation, et la préservation des sites patrimoniaux, en combinant des informations géographiques avec des données non spatiales (historiques, archéologiques, structurelles, etc.). Grâce à cette technologie, il est possible de créer des cartes interactives qui représentent des sites et monuments avec une grande précision.
Parmi les technologies permettant la reconstruction numérique 3D de bâtiments historiques, le Building Information Modelling (BIM) est l’une des plus populaires à l’heure actuelle. Pour réaliser ces modèles 3D, plusieurs étapes sont nécessaires. Tout d’abord, la documentation du bâtiment historique constitue une étape majeure, qui se fait généralement à l’aide de techniques photogrammétriques numériques. Ces techniques sont parfois associées au balayage laser (LiDAR). Une autre méthode est celle de structure en mouvement, qui permet de composer une structure à partir d’images haute résolution.
L’autre étape cruciale vers une documentation multidisciplinaire est l’incorporation des archives historiques et architecturales qui peuvent contribuer à l’évaluation de la structure. Ces documents concernent par exemple les travaux de restauration passés. La caractérisation des matériaux de construction et le diagnostic des schémas de dégradation peuvent être obtenus grâce à l’utilisation combinée de diverses techniques non destructives (NDT) sur site et de techniques analytiques en laboratoire après prélèvement d’échantillons.
Ces technologies possèdent des applications variées, tant dans l’étude archéologique du patrimoine architectural historique que dans la conservation et la gestion de ce patrimoine.
En effet, les SIG permettent des analyses spatiales complexes, telles que :
Tout d’abord, les SIG permettent de cartographier et d’analyser des sites archéologiques de manière plus rapide et plus précise. Notamment, ils peuvent être utilisés en combinaison avec le LiDAR (Light Detection and Ranging). Celui-ci mesure les distances entre un capteur aérien et des objets ou surfaces au sol, et permet de recréer la topographie et les structures grâce à un nuage de points 3D.
Par exemple, la cité maya d’Ocomtún (Yucatán, Mexique) a été révélée en 2023 grâce à cette technologie. Datée de la période classique de l’histoire précolombienne (250 à 1000 ap. J.-C.), cette cité est la première à avoir été découverte dans cet espace dans un rayon de 3 000 km². Il constitue, constituait jusqu’à ce jour la principale lacune sur la carte archéologique de la zone centrale des basses terres maya. Cette découverte a permis de lancer une opération de fouilles sur le terrain.
De même, en janvier 2024, une découverte similaire a été faite en Amazonie. En effet, : l’archéologue français S. Rostain annonce l’existence d’un dense système de centres urbains préhispaniques dans la vallée de l’Upano (Equateur). Le LiDAR a révélé des monuments, des routes, ainsi que des systèmes de drainage agricole et de terrasses.
Dans des environnements à végétation dense, et donc difficiles d’accès, l’utilisation des SIG est devenue essentielle pour l’identification de sites archéologiques. Cette technologie permet d’assister la recherche et complète les fouilles de terrain.
La visualisation des biens du patrimoine culturel bâti, et en particulier leurs pathologies, est devenue un besoin croissant dans le domaine de la protection des monuments. Depuis quelques décennies, la combinaison de données d’investigations multidisciplinaires, et de réalisation de modèles 3D de structures historiques, s’est imposée comme un processus standard pour l’évaluation de leur état de conservation.
Plusieurs plateformes de TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) ont été développées en ce sens par la communauté scientifique ces dernières années. Ainsi, le SCAN-to-BIM, basé sur des Grades of Generation (GOG 9 et 10), a été utilisé pour représenter numériquement l’une des structures les plus complexes de la Basilique de Sant’Ambrogio à Milan. Cette représentation a été enrichie de données, telles que la documentation historique, les dessins trouvés, l’analyse archéologique du bâtiment (matériaux et texture de surface des briques) et les données de dégradation (schémas de fissures, discontinuité des matériaux). Elles ont été intégrées avec une nouvelle solution web immersive capable d’afficher des images à 360°, des vidéos et du HBIM simultanément. Cette représentation permet aux experts d’analyser la transformation des structures d’arches dans un nouvel environnement immersif.
De même, le temple ancien d’Apollon Pythien à l’Acropole de Rhodes (Grèce) a fait l’objet de traitements similaires, afin de documenter les matériaux de construction et d’évaluer l’étendue et les schémas de dégradation. Grâce à cette approche, les spécialistes peuvent évaluer les interventions passées sur le monument, identifier les principales causes de dommages et de dégradation. Ils peuvent ainsi assister la prise de décision sur les matériaux et techniques les plus compatibles pour les travaux de protection et de restauration.
Le quartier historique de Djeddah (HDJ) du Royaume d’Arabie Saoudite fait face à de nombreux défis pour atteindre la conservation et la durabilité, en raison des catastrophes naturelles et de l’absence d’enregistrements et de documentation numériques appropriés. Dans ce contexte, une méthode novatrice utilisant des technologies immersives (VR, AR, MR) et des méthodes de visualisation (modélisation 3D) combinées avec le BIM et les SIG a émergée. Cette méthode a significativement contribué à l’avancement des efforts de conservation du patrimoine mondial. Dès lors, ces travaux constituent une approche pluridisciplinaire de la conservation du patrimoine culturel, combinant l’informatique innovante avec la technologie pour la documentation, la communication et l’engagement des utilisateurs.
De la même façon, une comparaison entre la technologie BIM et les SIG a été menée pour l’examen de l’impact des systèmes avancés d’arpentage et de modélisation architecturale pour le patrimoine architectural du XXème siècle. L’étude s’est concentrée sur le Plan de Gestion de la Conservation pour les Écoles Nationales des Arts de La Havane (Cuba), et démontre que ces technologies ouvrent la voie vers une conservation et une gestion plus efficace du patrimoine architectural.
Au fil des siècles, de nombreux sites ont été considérablement altérés ou ont même disparus. La limitation des informations accessibles sur le patrimoine architectural perdu rend son étude difficile. Dès lors, les ressources cartographiques et photographiques constituent une avancée majeure pour l’étude du patrimoine perdu,. Elles permettent en effet de collecter et de restituer des informations telles que l’emplacement géographique, les dimensions, les systèmes structurels, les finitions matérielles et les couleurs. Ces modèles 3D offrent une compréhension claire des objets du patrimoine culturel ainsi que des changements du paysage, et constituent un support d’étude précieux pour les scientifiques.
Par exemple, des travaux de ce type ont été menés à Izmir (Turquie) en utilisant les plans d’assurance incendie de 1905 de Charles E. Goad, et ont permis de recréer en 3D le patrimoine architectural perdu.
De même, des travaux similaires ont été menés sur un monastère insulaire de la ville médiévale disparue de Sekanka (République Tchèque) et du paysage environnant.
Au-delà de leur intérêt majeur que ces technologies représentent pour l’étude et la conservation du patrimoine culturel, les BIM et les SIG permettent une immersion dans des événements historiques, comme des batailles ou des scènes de vie. Ils constituent un nouveau moyen d’apprendre notre passé en nous permettant de « rentrer » dans l’histoire. En combinant ces technologies à la réalité augmentée (RA), il est désormais possible de créer des expériences immersives pour les chercheurs, les conservateurs et même le grand public, permettant ainsi de visualiser des structures anciennes in situ et de découvrir des monuments tels qu’ils apparaissaient à différentes époques.
C’est le cas par exemple du projet Rome Reborn, ou plus récemment de l’attraction « Éternelle Notre-Dame », une expédition immersive en réalité virtuelle sur le Parvis de Notre-Dame accessible depuis le 03/01/2023 et jusqu’au 29/12/2024. Il en est de même pour le quartier historique de Djeddah que nous avons mentionné plus haut. Ces environnements 3D permettent aux utilisateurs d’explorer virtuellement les sites patrimoniaux et de suivre les changements au fil du temps.
Ces innovations s’annoncent comme les prochaines grandes étapes dans la préservation et la valorisation du patrimoine culturel, permettant de rendre accessible et compréhensible notre histoire à une échelle encore jamais atteinte.
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