Cognition sociale et théorie de l’esprit

Le 8 octobre 2020

La cognition sociale définit les interactions entre les humains et plus largement la compréhension des émotions ou des pensées.  La théorie de l’esprit est une étape clé de ce développement. Réflexion de ABGI sur le sujet.

 

La cognition sociale

La cognition sociale désigne l’ensemble des processus cognitifs impliqués dans les interactions sociales chez l’humain, mais aussi chez les animaux sociaux. Elle peut aussi être définie comme les processus qui sous-tendent les capacités d’interaction sociale. C’est à dire, la reconnaissance et la compréhension des émotions, la capacité à inférer des pensées, intentions ou croyances d’autrui ou encore l’habileté à tenir compte du contexte dans une situation sociale donnée.

Elle fait donc partie d’un domaine d’étude plus large sur les processus cognitifs impliqués dans le comportement social.

La cognition sociale joue par ailleurs un rôle important dans le développement social et émotif chez les enfants. Elle se développe en bas âge avant même le développement du langage. En effet, à quelques mois, un nourrisson est capable de suivre un regard ou de comprendre des comportements orientés vers un but (s’emparer d’un objet ou tendre la main vers un objet). Puis, vers deux ans, l’enfant commence à prendre conscience qu’un autre individu peut avoir des pensées ou des émotions différentes des siennes. On parle alors de théorie de l’esprit.

 

La théorie de l’esprit : étape clé du développement de la cognition sociale

La théorie de l’esprit (TdE) correspond à la capacité d’un individu à attribuer des états mentaux (comme la pensée, les croyances, les intentions, les sentiments, les désirs…) aux autres et à soi-même. Il s’agit donc de la capacité à comprendre les intentions d’autrui.

Comme la cognition sociale, la théorie de l’esprit est nécessaire chez un individu pour avoir de bonnes relations sociales.

De manière générale, les enfants ayant une bonne compréhension des émotions présentent de meilleures interactions sociales avec leurs pairs lors de la période qui va du préscolaire au début du primaire.

 

 

Évaluation de la théorie de l’esprit

La théorie de l’esprit est évaluée par des tests psychologiques et le plus connu est le test de Sally et Ann. Ce test a été développé en 1983 par Heinz Wimmer et Josef Perner. Puis il a été modifié par l’équipe de Baron-Cohen deux ans plus tard lors de son étude sur la théorie de l’esprit dans l’autisme.

Ce test raconte l’histoire de Sally et Ann. Sally a un panier et Ann, une boite. Sally a une bille et décide de mettre la bille dans son panier. Puis Sally part se promener et pendant ce temps-là, Ann sort la bille du panier et la met dans la boite. Lorsque Sally revient, elle souhaite jouer avec sa bille. À votre avis, où Sally va-t-elle chercher sa bille ? *

La réponse doit correspondre au point de vue de Sally, Si la personne spectatrice testée conserve son point de vue, elle indiquera que Sally cherchera dans la boite. Car en fait, elle pense que la bille a été déplacée. La personne n’aura pas été en capacité de se positionner du point de vue de Sally.

* la bonne réponse est : dans le panier de Sally.

 

Développement de la théorie de l’esprit

Le développement de la théorie de l’esprit commence très tôt dans l’enfance. Elle débute en effet par le développement des préférences pour les stimuli sociaux chez les bébés, et ce dès 3 mois. À partir de 6 mois, le bébé commence à comprendre la notion d’agentivité (faculté d’action d’un être, capacité à agir sur le monde). Puis au cours de l’année qui suit, le bébé va commencer à attribuer un principe de rationalité aux agents puis reconnaître des agents intentionnels (par exemple le fait d’utiliser la direction du regard des autres pour prédire leur comportement). Et enfin, à 18 mois, l’enfant va être capable d’attribuer des intentions à d’autres personnes.

À partir de 3 ans, les enfants commencent à utiliser du vocabulaire mentaliste de type “je pensais que/je croyais que”
Enfin, c’est à partir de 5 ans, qu’ils sont capables d’attribuer de fausses croyances de second ordre (Alice croit que Jules croit..).

Cognition sociale, TdE et pathologies associées

 

Cognition sociale et schizophrénie

Différentes recherches mettent en évidence des troubles de la cognition sociale chez des patients schizophrènes. Une atteinte de la cognition sociale est un facteur important de l’isolement social dans la schizophrénie et affecte l’habileté à accomplir des relations sociales.

Aujourd’hui plusieurs équipes de chercheurs travaillent à l’élaboration d’outils ou de batteries de tests permettant une évaluation fine de ces difficultés. En effet, actuellement, ces difficultés sont peu évaluées ou alors évaluées à l’aide d’outils ne possédant pas les qualités psychométriques nécessaires.

Ces mêmes chercheurs ont étudié les différents processus de cognition sociale de personnes schizophrènes et étudié les liens entre ces déficits et les symptômes positifs (délires, hallucinations…) et négatifs (repli, perte motivation, apathie…) de la schizophrénie. Ils ont pu mettre en évidence que les différents profils de déficits de la cognition sociale dépendent des caractéristiques cliniques des patients, plus que de leur diagnostic. Il serait donc nécessaire d’évaluer la symptomatologie en parallèle des processus de cognition sociale dans cette pathologie.

 

Théorie de l’esprit et autisme

Plusieurs études ont été menées sur la TdE chez des enfants autistes. Toutes ces études s’entendent sur le fait que ces enfants présentent un déficit représentationnel affectant leur théorie de l’esprit. De plus, ce déficit proviendrait de difficultés de développement. Ces difficultés expliqueraient donc certaines particularités de leurs interactions sociales (Baron-Cohen, 1995).

Toutefois, il n’est pas possible de parler de déficit généralisé. En effet, au cours d’une de ces études, Baron-Cohen a pu montrer que sur 20 enfants autistes ayant passé un test de premier niveau, 16 enfants échouaient et 4 réussissaient ce test. On parle alors plus de délais dans l’acquisition des capacités de théorie de l’esprit chez les personnes avec autisme. Le développement perturbé de cette capacité serait une explication aux problèmes que manifestent les enfants avec autisme en matière de prise de perspective, de pragmatisme, d’empathie et d’autres aspects du développement social et du fonctionnement social.

Le déficit de TdE n’est pas spécifique à l’autisme et peut être présent dans d’autres pathologies ou chez d’autres handicaps comme la surdité, les déficiences intellectuelles ou encore la schizophrénie.

 

TdE et alcoolodépendance

Des troubles de la TdE peuvent aussi être observés dans l’alcoolodépendance. Chez les personnes alcoolodépendantes, un lien entre des déficits en TdE et la dépression a pu être observé. De plus, ces personnes ne sont pas conscients de leurs déficits ce qui est à l’origine de difficultés de relations interpersonnelles et donc de conflits pouvant engendrer une rechute dans la maladie.

 

Qu’en est-il chez les animaux ?

Certains animaux sont doués de cognition sociale et de théorie de l’esprit. En effet, la cognition sociale est étudiée chez les animaux depuis de nombreuses années.

Ces études ont été menées chez les primates ou encore les chevaux, mais peuvent aussi étudiées les oiseaux et leur capacité à se reconnaître et reconnaître ses congénères.

Plus spécifiquement chez les chevaux, de récentes recherches ont permis de mettre en évidence que cet animal est doué de cognition sociale. En effet, une étude menée par Léa Lansade a permis de conclure que le cheval est capable de reconnaître des photographies de visages humains, pour certains déjà vu et pour d’autres inconnus.

Suite à ces recherches menées par Léa Lansade, de nouvelles études ont débuté y compris sur la théorie de l’esprit chez le cheval. Cette étude n’en étant qu’à ses débuts, il n’est pas possible d’en extraire des conclusions, mais elle laisse penser que la théorie de l’esprit puisse exister chez le cheval. Le cheval pourrait donc avoir conscience de ce que lui sait et avoir conscience de ce qu’une autre personne ou un autre animal sait.

La cognition sociale permet de mieux comprendre les enjeux des relations entre les personnes.

 

 

Charlotte TOSO
Rédactrice scientifique
ABGI FRANCE


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Bibliographies

  • Peyroux « From « under » to « over » social cognition in schizophrenia : Is there distinct profiles of impairments according to negative and positive symptoms ? », Shizophrenia Ressearch : Cognition, vol. 15, Marche 2019, p. 21-29.
  • Wimmer, J. Perner, « Beliefs about beliefs: Representation and constraining function of wrong beliefs in young children’s understanding of deception», Cognition, vol. 13, no 1,‎ 1983, p. 103–128.
  • B, Desgranges, M, Laisney « TOM-15 : Une épreuve de fausses croyances pour évaluer la théorie de l’esprit cognitive », Revue de Neuropsychologie, 2012/3, vol. 4, p. 216 à 220.
  • Baron-Cohen « Does the autistic child have a « theory of mind » ? », Cognition, 1985, vol. 21, no 1, p.37-46.
  • Baron-Cohen « Autism and symbolic play », British Journal of Developmental Psychology, 1987, vol. 5, no 2.
  • Baron Cohen « Social and Pragmatic Deficits in Autism: Cognitive or Affective? » Journal of Autism and Developmental Disorders, 1988, vol. 18, no 3.
  • Baron-Cohen, A. Leslie, U. Frith « Mechanical, behavioural and Intentional undrstanding of pictures stories in autistic children », British Journal of Developmental Psychology, 1986, vol. 4, no 2.
  • Vauclair « L’intelligence de l’animal », 1995.

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