Transition agroécologique – Défis & perspectives pour les agroéquipementiers, les semenciers, les chimistes de la filière
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Par Pierre-Yves Coulbeaux, Rédacteur scientifique
Les jumeaux numériques, aussi appelés digital twins, sont des outils de plus en plus précieux et de plus en plus utilisés aujourd’hui dans un nombre croissant de domaines. De fait, disposer d’une réplique numérique détaillée d’un élément présente de nombreux avantages. Dans le cas des jumeaux numériques, il peut s’agir de la réplique d’un objet, d’un système, d’un processus, voire d’une ville. Pour illustrer concrètement les éléments qui peuvent disposer d’un jumeau numérique, on peut citer le cas des avions Airbus, ou encore, peut-être l’un des plus impressionnants, le jumeau numérique de Singapour.
Les premiers jumeaux numériques datent des années 90 et étaient particulièrement utilisés dans le cadre de l’aérospatial. Les ingénieurs ont, à cette période, commencé à développer des simulations numériques pour simuler des performances et tester des produits avant industrialisation. C’est en 2002 que le terme de jumeau numérique est utilisé pour la première fois, par le Dr. Michael Grieves, dans le cadre d’un projet de gestion de cycle de vie de produits. L’idée a pris et le principe a rapidement été utilisé dans des secteurs comme l’automobile. Dans les années 2010, les digital twins ont gagné en sophistication (intégration de l’Internet of Things et de Big Data) et ont gagné de nouveaux secteurs comme la santé ou la gestion de ville et l’urbanisme.
Depuis la fin des années 2010 et le début des années 2020, l’évolution des jumeaux numériques a été fulgurante. La densification de l’IoT et du Big data, mais aussi l’émergence des algorithmes d’IA et du machine learning ont été fondamentaux dans cette évolution rapide.
Estimé entre 9,9 et 17,73 milliards de dollars en 2023 selon les analyses, le marché des jumeaux numériques devrait atteindre 110,1 milliards de dollars d’ici 2028 (selon MarketsandMarkets) et même 522,9 milliards de dollars en 2033 d’après Market.us. Si les différentes études ne donnent pas les mêmes chiffres en raison des différences entre les méthodes d’évaluation appliquées, la tendance en faveur d’une explosion du marché des digital twins est évidente. Par ailleurs, aucune analyse ne projette un TCAC (taux de croissance annuel composé) inférieur à 33%, ce qui permet de parler d’hypercroissance. Ce TCAC reflète aussi la relative jeunesse de ce nouveau marché jugé très lucratif, mais également très volatil. Le tableau suivant permet de comparer les estimations réalisées par plusieurs études sur la croissance attendue du marché des jumeaux numériques.
Tableau 1 : Comparaison des analyses de l’évolution du marché des jumeaux numériques
Source | Valeur estimée 2023 | Projection | TCAC estimé |
MarketsandMarkets [1] | 10,1 Mds $ | 110,1 Mds $ (2028) | 61,3 % |
IoT Analytics [2] | n/a | n/a | ~30 % |
Grand View Research [3] | 16,75 Mds $ | n/a (2030) | 35,7 % |
Fortune Business Insights [4] | 17,73 Mds $ | 259,32 Mds $ (2032) | 40,1 % |
Global Market Insights [5] | 9,9 Mds $ | n/a (2032) | 33 % |
Market.us [6] | 11,8 Mds $ | 522,9 Mds $ (2033) | 46,1 % |
Afin de mieux visualiser l’importance de cette croissance, la Figure 1 permet de la comparer avec celles d’autres technologies émergentes majeures de ces dernières années, telles que le Cloud Computing, l’IA ou encore les smartphones et Internet. Les estimations présentées sont prudentes et basées sur les données disponibles auprès de MarketsandMarkets, Gartner et Statista.
Figure 1 : Croissance (TCAC) comparée de technologies émergentes sur 8 ans
Les jumeaux numériques se présentent comme un élément important de l’industrie 4.0. De fait, cette quatrième révolution industrielle se démarque par l’intégration en masse des technologies du numérique, et cela à tous les niveaux. Les principales briques de cette industrie 4.0 sont sans doute l’Internet of Things et l’IA, mais aussi la robotique et le Big Data. Les jumeaux numériques exploitent le potentiel de toutes ces briques technologiques et évoluent en symbiose avec ces dernières.
La place des jumeaux numériques dans cette nouvelle industrie s’articule autour de trois axes :
Les avantages des jumeaux numériques pour les entreprises de nombreux domaines sont indéniables. Toutefois, le développement d’un digital twin ne se fait pas sans challenge. Ces défis, ils sont au nombre de trois : la sécurité des données, les coûts de développement et de maintenance, et la gestion des changements organisationnels.
À l’ère du numérique, il n’est pas étonnant que la question de la sécurité des données soit soulevée. De fait, les jumeaux numériques reposent sur la collecte et l’analyse d’immenses volumes de données en temps réel. Dans ces données, il y en a des sensibles, à protéger. Ainsi, comme tout domaine traitant d’un vaste volume de données, les cyberattaques sont à prévoir. Ainsi, en parallèle du digital twin lui-même, les entreprises doivent investir dans leur cybersécurité et doivent définir des solutions complètes pour se protéger. Cela est d’autant plus difficile que les jumeaux numériques et les technologies liées sont en évolution permanente. Il n’existe également pas de normes internationales pour encadrer cette technologie.
Outre cela, il y a la question des changements organisationnels de l’entreprise. Intégrer un élément comme un jumeau numérique vient nécessairement transformer les processus en place. Il faut donc former les employés pour travailler avec un jumeau numérique, comment l’utiliser, bien l’exploiter et complètement s’adapter à ce nouvel élément. De nouvelles compétences sont souvent requises et doivent être transmises. Egalement, de nouvelles modalités de communication et d’organisation générale sont nécessaires. La transition vers l’utilisation d’un jumeau numérique est donc un défi majeur en soi.
Cette transition et l’implémentation de nouveaux éléments de cybersécurité impliquent des coûts qui se cumulent à ceux nécessaires au développement du jumeau numérique lui-même, développement qui s’avère généralement très onéreux pour les entreprises. Face à cette problématique, il existe des solutions. Les entreprises peuvent se tourner vers différentes sources de financement, que ce soit des aides et subventions directes ou des crédits d’impôts recherche et innovation (CIR/CII).
En France, le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) et le Crédit d’Impôt Innovation (CII) sont deux dispositifs particulièrement pertinents. Le CIR permet aux entreprises de récupérer une partie des dépenses liées à la recherche et développement (R&D), pouvant inclure des travaux sur les jumeaux numériques, comme la conception de modèles virtuels ou l’intégration de technologies avancées. Le CII, quant à lui, cible les PME développant des innovations technologiques ou procédurales, ce qui peut inclure certaines phases de création d’un jumeau numérique. Ces crédits d’impôts permettent de réduire significativement les coûts de développement tout en favorisant l’innovation.
Au niveau européen, plusieurs programmes offrent des financements substantiels. Horizon Europe, par exemple, soutient les projets de recherche et d’innovation disruptifs, incluant le développement de jumeaux numériques dans divers secteurs tels que l’énergie ou la santé. Ce programme a déjà financé plusieurs initiatives similaires avec des enveloppes allant jusqu’à plusieurs millions d’euros. De plus, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI), pilier du Plan d’investissement pour l’Europe, a permis à certaines entreprises comme NavVis de lever des fonds importants pour accélérer leur développement technologique.
L’un des projets phares est l’appel à communs pour un jumeau numérique national, lancé en partenariat avec l’IGN, le Cerema et l’Inria. Cet appel vise à concevoir une réplique numérique de la France et de ses territoires. Elle permet de modéliser et d’analyser les impacts du changement climatique, d’améliorer la prise de décision grâce à des outils systémiques, et de faciliter la co-construction des projets d’aménagement. Ce projet fédère collectivités, entreprises et laboratoires autour d’une gouvernance collaborative pour structurer l’écosystème des jumeaux numériques à l’échelle nationale.
Digital Europe soutient également plusieurs projets stratégiques. Parmi eux, le programme Destination Earth (DestinE) vise à créer d’ici 2030 des modèles 3D évolutifs de la planète Terre pour prédire les impacts du changement climatique. Ces jumeaux numériques terrestres permettent d’articuler des politiques publiques adaptées et d’optimiser les stratégies dans des secteurs comme l’énergie ou l’agriculture. Ce projet est financé conjointement par Digital Europe et Horizon Europe, avec un investissement initial de plus de 150 millions d’euros pour ses premières phases.
Dans le domaine de la santé, Digital Europe finance également le développement d’un écosystème intersectoriel basé sur les jumeaux numériques. Ces outils permettent de simuler des traitements médicaux personnalisés et d’améliorer les soins grâce à une modélisation avancée des données biologiques et cliniques. L’objectif est de réduire les délais entre innovation et exploitation commerciale tout en garantissant une approche centrée sur l’humain.
Enfin, le programme soutient les initiatives visant à intégrer les jumeaux numériques dans la transition écologique et numérique. Par exemple, il encourage leur utilisation dans la conception de bâtiments à énergie positive et leur intégration aux réseaux électriques intelligents. Ces actions s’inscrivent dans le cadre du pacte vert européen et du programme Horizon Europe, qui visent à réaliser une neutralité climatique en synergie avec des technologies numériques avancées.
Un exemple récent de jumeau numérique développé par Airbus concerne son partenariat avec Sensolus, une entreprise spécialisée dans les technologies IoT. Dans ce projet, Airbus a intégré des traceurs IoT avancés à des biens industriels critiques utilisés pour déplacer les composants d’avions dans le flux de production. Ces traceurs permettent de créer un jumeau numérique des processus logistiques. Ils offrent ainsi une visibilité complète sur les flux de travail, tant au sein des installations qu’au-delà des frontières. Ce système aide à éliminer les « zones blanches » (zones où le suivi est inexistant), à prévenir les retards et à réduire les risques d’incidents dans la chaîne de production.
Un autre exemple significatif est celui d’Airbus Atlantic, une filiale d’Airbus, qui a mis en place un jumeau numérique pour valider virtuellement ses processus industriels. Ce projet utilise la plateforme FASTSUITE E2 pour simuler et optimiser les ateliers de production de manière entièrement virtuelle. Cette approche permet d’améliorer l’efficacité des processus tout en réduisant les coûts et les délais liés aux essais physiques.
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