Octobre rose : point sur la recherche et l’innovation dans la lutte contre le cancer du sein
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Par Alice VIEREN, Consultante en financement de l’innovation
Dans les décennies à venir, l’innovation dans les pratiques agricoles sera essentielle pour relever les défis découlant de la croissance démographique mondiale. Avec une population projetée pour atteindre près de 10 milliards d’êtres humains d’ici 2050, la pression sur les systèmes alimentaires sera immense. C’est pourquoi la recherche s’engage activement dans le développement de connaissances face à un défi qui dépasse largement la question des quantités à produire. Ainsi, pour répondre à ce défi, des solutions doivent être élaborées. Elles devront mobiliser l’ensemble des systèmes agricoles et alimentaires sur le long terme et impliquer une diversité de leviers d’action.
La sélection végétale et la sélection animale sont alors de précieuses voies d’innovation.
Les grands objectifs du secteur de la sélection génétique sont :
Tout d’abord, l’adaptation face aux enjeux environnementaux est l’un des principaux objectifs du secteur. Il s’agit notamment les changements climatiques (stress abiotique), la lutte contre les bioagresseurs ou maladies (stress biotique), et la réduction des intrants chimiques.
En raison des changements climatiques actuels et anticipés, il est attendu que des projets soient développés pour s’adapter à ces environnements changeants. Ces projets doivent viser à renforcer la capacité des organismes à tolérer des conditions extrêmes. Ces conditions résultent du dérèglement climatique, par exemple, des températures élevées, la sécheresse et autres stress environnementaux.
Des pistes d’innovation sont également attendues pour les projets visant au développement de résistances durables face aux maladies, aux ravageurs ou aux agents pathogènes.
De plus, la diminution des intrants chimiques en général, et en particulier des produits phytopharmaceutiques, soulève des préoccupations en matière de gestion sanitaire et phytosanitaire. Les programmes d’innovation axés sur des approches génétiques pour résoudre ces problèmes seront valorisés.
La diversité génétique est essentielle pour permettre aux espèces de s’adapter grâce à la sélection naturelle. Plus elle est étendue, plus les capacités d’adaptation sont importantes. Il est donc primordial de conserver cette composante de la biodiversité. En collectant des données génétiques au niveau des populations, là où les pressions environnementales agissent sur les organismes, les chercheurs pourront identifier les facteurs biologiques qui influencent cette diversité génétique.
Pour répondre aux défis complexes dans le domaine de l’agriculture, la sélection française nécessite un accès à une vaste diversité génétique caractérisée. Ainsi, des projets innovants visant à caractériser les ressources génétiques pour leur adaptation à diverses conditions biotiques ou abiotiques (par le biais d’une caractérisation phénotypique et moléculaire) sont attendus.
Les chercheurs ont besoin de méthodes ou d’outils de phénotypage pertinents pour évaluer les caractéristiques du matériel génétique étudié. Ainsi, les projets innovants concernent le développement d’outils de phénotypage, ou de marqueurs pour la prédiction génomique. Ils incluent aussi la sélection assistée par marqueurs, ou encore des outils de caractérisation des stress abiotiques pour mieux comprendre les interactions génotype/environnement.
Le développement de nouveaux outils vise principalement à accélérer et optimiser les ressources engagées dans les cycles de sélection et à améliorer les prédictions.
Les innovations réalisées en sélection variétale ont ouvert de nouvelles perspectives dans le domaine agricole. En maitrisant la diversité génétique, il est désormais possible de développer des variétés dotées des traits nécessaires. Ces traits permettent de résister aux défis environnementaux tels que les maladies, les ravageurs et la sécheresse. Les nouvelles variétés développées sont par exemples plus tolérantes au manque d’eau ou plus résistantes face aux ravageurs ou maladies.
Ces nouvelles semences permettent une meilleure maitrise de la production pour les agriculteurs. Elles sont également adaptées aux différents types de sol ou environnement de pousse. Cela permet de favoriser une meilleure santé et conservation des sols, tout en réduisant les besoins en engrais ou pesticides.
Spécificité du secteur de la sélection animale
L’objectif principal de la sélection animale consiste à améliorer la descendance au fil des générations, en sélectionnant les animaux présentant les caractéristiques recherchées. Les gènes déterminent en effet un certain nombre de qualités souhaitées pour un animal.
La sélection animale vise ainsi à améliorer plusieurs aspects, notamment la croissance, le taux de conversion alimentaire ou encore la résistance aux maladies. Afin d’effectuer efficacement cette sélection, le processus repose sur l’utilisation de la génétique pour cartographier l’ADN des animaux et permettre l’étude de son potentiel.
Comme dans le cas de la sélection variétale, l’utilisation de marqueurs génétiques est également importante. Il s’agit d’identifier des variations naturelles du code ADN et de les exploiter pour repérer les zones d’intérêt. Ces zones d’intérêt sont les gènes ou zones portant plusieurs gènes qui entrainent des caractéristiques phénotypiques intéressantes.
Enfin, en réponse à l’accroissement de la population humaine mondiale et de sa demande en protéines animales, un enjeu vise à limiter la compétition pour l’usage des terres et de l’eau, et réduire l’empreinte écologique des élevages.
La France se positionne en tant que leader européen de la production de semences, et leader mondial des exportations de semences de grandes cultures. Au cours de la campagne 2021/2022, le chiffres d’affaires global généré par cette activité représente 3,6 milliards d’euros. Ce chiffre d’affaires se répartit pour moitié entre les ventes en France et l’exportation. L’activité semences et plants contribue à hauteur de 32 % au solde commercial du commerce extérieur français des produits de l’agriculture et de l’élevage.
Soixante-neuf entreprises spécialisées dans la sélection sont réparties sur le territoire. Elles marquent ainsi une présence significative dans le tiers Nord-Est de la France, le Sud-Ouest, le long de la vallée du Rhône et à Clermont-Ferrand.
Ce domaine se caractérise par son engagement constant dans la R&D et l’innovation. Les entreprises concernées investissent en moyenne de 11 % de leur chiffre d’affaires dans ces activités. La filière des céréales et protéagineux se positionne comme la plus innovante. Elle investit en effet 24 % de son chiffre d’affaires en R&D. Lors de la campagne 2021/2022, la recherche liée à l’activité semences en France a mobilisé près de 3000 ETP chercheurs. L’ensemble de l’activité semences mobilise près de 18 000 agriculteurs multiplicateurs.
Pour ce qui est de la production de protéines animales, elle représente environ 40% de la production agricole mondiale totale. La France est :
En 2020, 145 000 exploitations agricoles se consacrent à l’élevage. Elles représentent ainsi 37% de l’ensemble des exploitations françaises. La génétique animale, en tant qu’élément clé en amont de l’élevage, revêt un rôle stratégique pour cette filière. Elle implique aujourd’hui 57 000 éleveurs dans la sélection des races.
Également, elle contribue en constituant le quatrième solde positif du commerce extérieur agricole français. Elle atteint en effet plus de 355 millions d’euros en 2022, avec un chiffre d’affaires export estimé à 400 millions d’euros. La sélection génétique en France bénéficie de structures de recherche parmi les plus performantes au monde, tant publiques que privées. Elle tire également profit de la diversité du cheptel français.
Au cours des dernières décennies, les programmes d’amélioration génétique ont permis des gains de productivité spectaculaires. Toutefois, il subsiste certaines limites, qui sont déjà identifiées par les chercheurs du domaine.
Une limite importante est tout d’abord la relative lenteur des méthodes usuelles pour produire des effets. La réalisation des programmes prend beaucoup de temps, notamment à cause de la nécessité de plusieurs générations pour fixer les caractères. Créer une nouvelle variété de semence prend environ dix ans. Pour certaines espèces animales à intervalle de génération long comme les bovins, créer une nouvelle race ou souche peut prendre plus de vingt ans.
Or, de nouvelles maladies émergent régulièrement. Cela souligne l’importance des innovations pour accélérer l’identification des cibles de sélection futures. La biologie moléculaire et le screening indirect par marquages ont été, et restent, des outils d’innovation cruciaux pour les sélectionneurs. Demain, les NGT (new genomic techniques) ainsi que les NBT (New Breeding Techniques) permettront d’accélérer le processus de sélection et d’être plus réactifs par rapport à l’émergence de nouvelles maladies.
Un exemple extrêmement prometteur de ces NBT est la découverte des CRISPR-Cas9. Il s’agit d’un outil moléculaire de manipulation génétique qui permet d’effectuer des modifications précises dans les organismes.
Les CRISPR-Cas9 sont l’association d’une enzyme spécialisée (Cas9) et d’un brin d’ARN-guide. Celui-ci est capable de « couper » l’ADN à un endroit défini entre deux bases. Au niveau de ces cassures, il est alors possible d’inactiver un gène, de le modifier (réparation avec un modèle), ou d’insérer un transgène (réparation avec un modèle contenant de l’ADN étranger).
Selon certains auteurs, cette technique constituerait une opportunité considérable pour l’amélioration génétique des espèces végétales et animales d’intérêt agronomique. En effet, cette technologie a déjà été utilisée et a montré son efficacité dans certains cas. A titre d’exemples :
En outre, les travaux de la chercheuse française Emmanuelle Charpentier et de la professeure Jennifer Doudna sur la découverte de la technique d’édition du génome CRISPR-Cas9 leur ont permis de recevoir le prix Nobel de Chimie 2020.
Cependant, l’utilisation des CRISPR-Cas9 présente encore des risques importants, notamment de pertes d’informations sur les chromosomes. Elle suscite également des questions d’éthique médicale et environnementale.
Certains auteurs considèrent que les plantes modifiées par édition du génome ne sont pas des OGM. Cependant, en Europe, la CJUE a statué en 2018 que les plantes obtenues par édition du génome devaient être considérées comme des OGM et soumis à la même réglementation. Leur classification fait donc encore débat.
Des impacts prometteurs sont également attendus grâce à l’utilisation de l’IA, notamment en l’appliquant à la génomique. La génomique est la science qui étudie le génome, c’est-à-dire l’ensemble du matériel génétique d’un individu ou d’une espèce, encodé dans son ADN. En séquençant le génome, les chercheurs visent à sélectionner les traits jouant sur les caractéristiques phénotypiques recherchées. Or, il n’est pas évident de comprendre précisément l’impact des facteurs génétiques sur les phénotypes.
Grâce à l’IA, l’objectif des chercheurs est d’utiliser toutes les données expérimentales acquises jusqu’à aujourd’hui et de les utiliser pour entrainer un algorithme à prédire l’effet des variations du génome. Récemment, de nombreuses études ont tenté d’améliorer la précision des prédictions génomiques par l’utilisation de techniques d’apprentissage automatique (Machine Learning), ainsi que des techniques d’apprentissage profond (Deep Learning).
En particulier dans le cadre de la sélection animale, l’apprentissage automatique et l’apprentissage profonds sont des outils technologiques puissants. Ils pourront permettre d’améliorer les schémas d’accouplement et de guider le choix des meilleurs parents via l’amélioration des indices de sélection. En effet, il s’agit d’un paramètre clé puisque ce secteur reste limité par le nombre d’individus à observer à chaque génération, le nombre de générations possibles par an, et le temps long pour que les petits atteignent leur taille adulte et puissent être observés et phénotypés.
A titre d’exemple, deux laboratoires du centre INRAE Occitanie-Toulouse, Génétique et physiologie des systèmes d’élevage (Genphyse – INRAE/INP ENSAT/ENVT) et Mathématiques et informatique appliquées Toulouse (MIAT – INRAE), travaillent à l’utilisation de l’IA pour permettre la prédiction de l’impact de ces variabilités génétiques.
Dans le cadre du volet agricole de France 2030, la génétique et le numérique sont des axes stratégiques.
Le plan France 2030, mis en place par le gouvernement français depuis octobre 2021 avec un budget de 54 milliards d’euros sur 10 ans, se concentre sur 10 objectifs clés. Le 6e est notamment dédié à l’accélération de la révolution agricole et alimentaire. Pour atteindre cet objectif, le plan mobilise des instruments d’investissement gérés par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), notamment les Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR). Ces PEPR sont intégrés dans des Grands Défis, des programmes publics d’investissement qui visent à développer des technologies de rupture ayant un fort impact social et économique.
Ces programmes sont pilotés par les organismes de recherche eux-mêmes. Ils constituent le volet amont/recherche des stratégies de France 2030. En mettant l’accent sur l’innovation pour une alimentation saine et durable, ce plan d’investissements soutient la transition vers des pratiques agricoles plus durables et résilientes.
Il favorise ainsi en parallèle le développement de technologies innovantes pour le secteur agricole.
Les PEPR sont des initiatives de recherche interdisciplinaires d’envergure nationale, initiées et financées par le Programme d’Investissement d’Avenir 4 dans le but de deux objectifs principaux :
Le PEPR « Sélection végétale avancée pour faire face au défi climatique et à la transition agroécologique », lancé sous la coordination de l’INRAE, est désormais opérationnel depuis septembre 2023. Avec une subvention de 30 millions d’euros dans le cadre de France 2030, ce programme vise à fédérer et soutenir à l’échelle nationale les acteurs de la recherche en sélection végétale. L’objectif est de positionner la France en tant que leader dans ce domaine crucial pour la transition agroécologique.
Son ambition est d’accompagner les transitions agroécologiques en rendant disponibles rapidement une variété plus large de plantes adaptées aux conditions environnementales changeantes. Le programme se concentre spécifiquement sur l’évaluation de l’édition des génomes comme outil de sélection, en excluant la transgénèse. Ses objectifs incluent :
Le PEPR Agroécologie et numérique, co-piloté par l’INRAE et l’INRIA a été annoncé par le gouvernement en novembre 2021. Il dispose d’un budget de 65 millions d’euros sur 8 ans. Ce programme vise à exploiter les données, les agroéquipements et les ressources génétiques pour promouvoir la transition agroécologique et renforcer la résilience face aux aléas climatiques.
Un des sujets priorisés concerne les technologies de génération des données pour caractériser les ressources génétiques animales et végétales et les méthodes numériques pour l’exploitation des données en agriculture. Financé par l’État dans le cadre de France 2030, ce PEPR vise à accélérer la transition agroécologique en mobilisant le potentiel du numérique pour le bénéfice de tous les agriculteurs. Son lancement a eu lieu en janvier 2023.
« Deux ans après la race Prim’Holstein, il est désormais possible en race Normande de bénéficier des nouveaux indicateurs génétiques de résistance à la paratuberculose. »
Le 8 avril 2024, les membres du consortium PARADIGM, composé des réseaux sanitaires GDS France (Groupement de Défense Sanitaire), ELIANCE (conseil et service en élevage), l’INRAE et APIS-GENE, annonçait dans un communiqué de presse cette innovation dans la lutte contre cette maladie des bovins.
La paratuberculose, également connue sous le nom de maladie du « boyau blanc », est une maladie bactérienne chronique qui affecte plusieurs espèces de ruminants, tant domestiques que sauvages. Elle est causée par une mycobactérie similaire à celle de la tuberculose, résistante dans l’environnement et souvent présente dans la microfaune.
Cette maladie inflammatoire intestinale évolue de manière fatale chez les bovins. Elle se manifeste par une entérite chronique et une perte de poids progressive. C’est une maladie qui infecte les veaux mais qui ne se déclare qu’à l’âge adulte, et seule une minorité d’individus présente des signes cliniques, ce qui la rend particulièrement insidieuse dans les troupeaux. Son expression dépend de facteurs génétiques et des conditions d’élevage. Il n’existe pas de traitement curatif ni de possibilités de vaccination applicables dans la pratique.
Comme toute pathologie présente dans un troupeau, la paratuberculose entraîne des pertes économiques importantes en réduisant la production laitière et en causant des décès prématurés ou des abattages anticipés. Cette maladie répandue en France, notamment dans certaines régions comme le Grand-Ouest, est sous surveillance et à notification obligatoire. Il est probable que le cadre réglementaire se resserre encore dans les prochaines années.
Dans la lutte contre la paratuberculose, l’objectif du travail du consortium est de classer les femelles selon leur niveau de sensibilité face au développement de la maladie, et de catégoriser les taureaux à l’aide d’un pictogramme RTPB (Résistant à la Paratuberculose). Ainsi, seuls les meilleurs animaux sont sélectionnés pour les prochaines générations, via des plans de maitrise sanitaire proposés par le GDS. Les animaux trop sensibles seront écartés de la reproduction.
Les travaux de recherche s’appuient sur le génotypage des animaux. En acquérant des données sur le génome des individus, il est désormais possible de déterminer leur niveau de résistance face à la maladie, celui-ci étant dépendant de facteurs génétiques. Ce programme de recherche renforce l’intérêt du génotypage en tant qu’outil pour les programmes de sélection dans les élevages.
« Issu de la recherche française, le nouvel indicateur génomique de Résistance à la Paratuberculose est une première mondiale.»
Bibliographie
Octobre rose : point sur la recherche et l’innovation dans la lutte contre le cancer du sein
Aussi