Smart Factory, une question de survie

Le 6 février 2023

Par Pierre MARRION, Expert Scientifique

La filière transport, une filière industrielle en peine, mais résiliente

Depuis 5 années, la filière Transport observe un recul des ventes de véhicules et donc un ralentissement des performances de productions de véhicules en bout de ligne. La baisse des ventes principalement sur la motorisation thermique laisse place aux véhicules à énergie nouvelle (électriques, hybrides…). Les ventes tentent rester stables en perspectives, alimentées par une mixité énergétique avec laquelle les industries devront composer à l’avenir. Ceci, malgré le contexte de la baisse de la consommation dans un contexte morose de crise Covid et de crise des composants électroniques.

Ventes véhicules particuliers Monde [1]

Ventes véhicules particuliers Monde [1]

Ventes véhicules particuliers Europe [2]

Ventes véhicules particuliers Europe [2]

Ventes véhicules commerciaux Europe [2] Smart Factory

Ventes véhicules commerciaux Europe [2]

Globalement, les problématiques d’approvisionnement de matières premières et les conséquences du conflit entre l’Ukraine et la Russie continuent de peser sur une industrie qui met à rude épreuve sa capacité de résilience. Pour exemple, chaque grand constructeur affiche des résultats financiers corrects malgré la baisse des ventes. Les constructeurs changent leurs stratégies de vente. Ils réorientent ainsi leurs systèmes/plateformes de production industrielles, entrainants avec eux les équipementiers. Néanmoins, cette approche possède quelques limites, et les sites industriels observent des goulets d’étranglement logistiques.

Les sites doivent faire face à plusieurs limites :

  • Tout d’abord, comment optimiser le taux d’occupation des lignes ?
  • Comment appréhender la flexibilité des matériels ?
  • Comment gérer la durée de vie des modules de lignes de production ?
  • Par ailleurs, comment manager les équipes en termes d’efficacité et de montée de compétences ?

À court et moyen terme, les grandes tendances qui semblent se dessiner dans la filière Transport sont :

  • Premièrement, le maintien de motorisation thermique avec une part grandissante des biocarburants.
  • Egalement, le passage à une gamme de plus en plus électrique (incluant motorisation hybride et aussi hydrogène à Pile à Combustible).
  • Le véhicule connecté à l’usager et son environnement.
  • Le véhicule gagnant en automatisation de fonctions grâce aux ADAS (à date, l’état de l’art atteint le début du niveau 4) vers un idéal de conduite 100% autonome (niveau 5) à (très) long terme.
  • Enfin, le recentrage des chaînes d’approvisionnement vers un contenu plus régionalisé et moins dépendant de pays pouvant exercer des quasi-monopoles.

La capacité d’adaptation de la filière n’est plus à démontrer. Au-delà des aspects lobbying, des contraintes normatives, la R&D constitue le socle des efforts fournis et à fournir pour appréhender l’avenir de manière agile et intelligente… L’usine, si elle ne l’est pas encore, sera intelligente face à ces défis, elle sera une Smart Factory, une usine du Futur !

Qu’est-ce que l’usine du futur, parfois appelée Usine 4.0 ou industrie du futur ?

Comme le rappelle VISIATIV [3], le concept d’usine numérique a été développé par le Boston Consulting Group. Selon ce cabinet de conseil, l’usine connectée ou usine du futur, sera un environnement où les nouvelles technologies telles que la robotique, l’intelligence artificielle et l’internet des objets permettront une augmentation drastique de la productivité. Il s’agit ainsi d’un nouveau mode de production qui utilise les technologies numériques pour produire les biens, et monitore en temps réel son activité pour optimiser son fonctionnement.

L’usine du futur est de plus une nouvelle approche de la gestion des ressources de production. Son objectif est ainsi de créer des usines intelligentes, plus flexibles et plus efficaces en termes de production et de gestion des ressources. L’usine 4.0 ouvre ainsi la voie à une nouvelle révolution industrielle en utilisant plusieurs technologies innovantes. Celles-ci devront maîtriser l’intégralité de la gestion du cycle de vie des produits ou des services de la société.

L’usine de demain sera par ailleurs une usine qui dialogue. Au-delà des nombreuses implémentations technologiques (réalité augmentée, fabrication additive, internet des objets, Big Data, Cloud computing, simulation numérique, cybersécurité), l’usine devra intégrer une composante supplémentaire et structurelle. Elle devra effectivement intégrer l’interconnexion de toutes ces nouvelles technologiques liées au numérique. En effet, l’interconnexion de ces technologies va permettre de mettre en place un « système de dialogue » entre les outils et postes de travail. Ceux-ci vont donc pouvoir échanger des informations entre eux, mais aussi avec l’extérieur, et ainsi être encore plus efficaces en tenant compte de leur environnement.

Schéma d’une usine interconnectée avec ses métiers Smart Factory

Schéma d’une usine interconnectée avec ses métiers

De façon globale, cela va permettre d’optimiser l’outil de production, et de répondre ainsi à des enjeux incontournables pour les industriels :

1. Produire plus rapidement.

2. À meilleur coût, et

3. Avec une agilité plus importante.

Fiat Powertrain Technologies (Iveco Group), un exemple en la matière

Nous avons choisi de mettre en avant les efforts fournis ces dernières années par Fiat Powertrain Technologies France. L’usine de Bourbon Lancy n’a effectivement pas attendu la fin hypothétique de la crise sanitaire et filière du moment pour lancer des initiatives. Notamment en termes de conditions de travail, de transformation numérique, ou encore d’innovation sur leur métier de manufacturier.

Par le passé, on a vu apparaitre un projet de développement de plateforme collaborative et digitale, nommée UNITI, pour mutualiser les compétences locales des entreprises qui ne se côtoient jamais. Ou encore, un projet de réutilisations d’imprimantes 3D initialement dédiées aux pièces de production utilisées pour produire des équipements de protection sanitaire.

L’ouverture d’esprit des dirigeants de cette usine, et la mobilisation des équipes ont permis de fonder de vraies démarches d’innovations pour améliorer le métier industriel. En l’occurrence, Fiat Powertrain Technologies, a monté un programme de recherche sur plusieurs piliers technologiques en collaboration avec l’INSA LYON.

Quatre thèses de recherche ont déjà vu le jour au sein de cette usine, sous la direction de Armand BABOLI, Professeur Associé du Laboratoire d’Informatique en Image et Systèmes d’information (LIRIS) :

  • « Prise en compte des spécificités culturelles et des mutations nécessaires dans le management industriel français pour répondre aux nouvelles exigences de l’industrie 4.0 », par Eva ROTHER, soutenue le 17/06/2020.
  • « Configuration et Organisation dynamique du Système Manufacturier Connecté (SMC) pour un système basé sur l’approche World Class Manufacturing (WCM) », par Mojtaba EBRAHIMI, soutenue le 24/07/2020.
  • « Nouvelles méthodes d’aide à la décision pour la maintenance prédictive dynamique basée sur la science des données et l’optimisation multi objectifs », par Behnam EINABADI, actuellement en cours.
  • Et, « Méthode d’aide au déploiement du système cyber-physique flexible et reconfigurable dans le contexte de l’industrie 4.0 », par Anthony CHEHAMI, actuellement en cours.

Ce qui caractérise cet exemple est la force de l’écosystème créé autour de ces initiatives. En effet, chaque projet a été supporté par les institutionnels. A l’image de la Communauté de communes Entre Arroux, Loire et Somme (CCEALS) pour le projet UNITI. Ainsi que des académiques, à l’image de L’Université de Lyon et de l’INSA de Lyon pour les 4 thèses. Pour rappel, l’usine de moteurs FPT Industrial de Bourbon-Lancy est le premier de ses principaux sites mondiaux à avoir obtenu la certification de niveau Or du programme World Class Manufacturing (WCM).

Quid des leviers pour devenir une Usine du Futur innovante ?

Comme évoqué dans un précédent article, il faudra financer ses initiatives R&D. En revanche, les guichets de financement n’interviennent pas en globalité sur toute la chaîne de valeur. C’est pourquoi, il faut structurer ses efforts de R&D, et il faut maturer ses projets avant de cibler le bon guichet de financement.

  • Les aides directes peuvent en premier lieu financer les projets innovants. Elles peuvent se demander après une analyse de la feuille de route de l’entreprise comportant les futurs développements de briques technologiques. Elles supporteront plusieurs catégories de dépenses permettant d’aller jusqu’à la réalisation de démonstrateurs ou le développement de filières. En exemples (liste non-exhaustive) :
    • L’appel à projets BPI « i-Démo » du plan France 2030,
    • L’appel à projets BPI « Métaux critiques »,
    • L’appel à projets BPI « Première Usine » pour start-up industrielles, ou PME /ETI innovantes.
    • Les dispositifs CORAM 2021 et 2022 issus du Programme France Relance.
    • L’appel à projets ADEME « Briques technologiques et démonstrateurs hydrogène »,
    • L’appel à projets ADEME « Développement de briques technologiques et services par des PME pour la décarbonation de l’industrie (IBaC PME) »
    • Enfin, l’appel à projets ADEME « Solutions innovantes pour l’amélioration de la recyclabilité, le recyclage et la réincorporation des matériaux (RRR) ».
  • Par ailleurs, les aides indirectes (CIR, CII) peuvent intervenir après que le projet ait déjà commencé. Elles se demandent après une analyse des activités R&I pour voir si elles répondent aux critères fiscaux. Aussi, elles se calculent sur la base de modalités définies par le texte de loi.
  • Enfin, les accélérateurs peuvent aider les entreprises à accroître leur performance commerciale, adapter leur offre aux nouveaux besoins du marché. Et également renforcer les collaborations avec les acteurs de la filière. En exemples (liste non-exhaustive) :
    • 2ème promotion de l’Accélérateur Solutions Industrie du Futur.
    • 5ème promotion de l’Accélérateur Automobile.

Conclusion & Perspectives

À l’image de l’engagement au printemps 2021 du commissaire européen Thierry Breton à faire reconnaître l’industrie comme moteur de la croissance et de l’autonomie stratégique européenne ; les pouvoirs publics devront fournir des résultats afin d’adapter l’industrie française aux nouveaux défis contextuels, et permettre à ses filières de répondre à la double transition écologique et numérique.

L’objectif est de réindustrialiser la France pour renforcer sa position internationale. La R&D et l’innovation sont en particulier des leviers puissants pour se différencier et gagner en souveraineté. Notamment face à la hausse de la concurrence mondiale, à la difficulté d’approvisionnement, au souhait de sobriété sur l’utilisation des ressources, ou encore en termes d’interactivité des acteurs locaux (industriels et institutionnels) au sein des filières.

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