Superaliments et enrichissement nutritionnel : défis technologiques et opportunités en agroalimentaire

Par Grégoire Crochet, Consultant en financement de l’innovation

Présentation générale du secteur

Enjeux du secteur

Le secteur agroalimentaire fait face à des défis croissants liés à l’enrichissement nutritionnel des produits. La demande en nutriments essentiels – protéines, fibres, vitamines, minéraux – augmente fortement. Notamment sous l’effet combiné des préoccupations de santé publique, des évolutions réglementaires et des nouvelles attentes des consommateurs en matière d’alimentation « saine » et fonctionnelle.

En France, ces enjeux sont structurés par le Programme National Nutrition Santé (PNNS). Il s’agit d’un cadre stratégique lancé par les autorités sanitaires pour améliorer l’état nutritionnel de la population. Il fixe des objectifs concrets de réduction des déficits (fer, iode, vitamine D, etc.) et pousse les industriels à revoir la qualité nutritionnelle de leurs offres.

Dans cette dynamique, le Nutri-Score joue un rôle central. En effet, cet étiquetage nutritionnel simplifié, fondé sur la densité énergétique et les apports en nutriments favorables ou défavorables, influence à la fois les choix des consommateurs et les stratégies de formulation des entreprises. Il s’inscrit pleinement dans la tendance à une transparence accrue et à l’optimisation nutritionnelle des produits.

L’enrichissement nutritionnel devient ainsi un levier de réponse aux attentes du marché : amélioration du profil santé, positionnement « clean label », valorisation des ingrédients naturels. Cela se traduit par l’ajout ciblé de nutriments (fibres dans les pains complets, calcium dans les eaux minérales, protéines dans les produits laitiers ou céréaliers, etc.), sous l’étroite surveillance de la réglementation européenne pour prévenir les surdosages et garantir la sécurité du consommateur.

Dans ce contexte, les superaliments connaissent un véritable engouement. Portés par leurs profils nutritionnels exceptionnels et le soutien croissant de la recherche, ils offrent en effet aux industriels des solutions innovantes et différenciantes. Riches en micronutriments, antioxydants, acides gras essentiels ou composés bioactifs, ces ingrédients – qu’il s’agisse de spiruline, graines de chia, baies d’açaï ou mycélium – incarnent une nouvelle génération d’aliments fonctionnels. Ils sont ainsi capables de répondre aux exigences du PNNS tout en se positionnant au cœur des tendances nutritionnelles de demain.

Chiffres clés

Dans ce contexte, le concept de superaliment occupe une place croissante dans l’innovation agroalimentaire. Les superaliments (spiruline, baobab, chia, quinoa, etc.) sont perçus comme des sources concentrées de nutriments (antioxydants, vitamines, minéraux) offrant des bénéfices santé dépassant la simple nutrition. Les consommateurs français, soucieux de santé et d’environnement, cherchent ainsi à intégrer ces ingrédients dans leur alimentation quotidienne. D’après un rapport Innova, 75 % des nouveaux produits lancés en France en 2024 mettent en avant au moins une revendication santé (cœur, vitalité, poids, immunité…). Cette aspiration se traduit par une augmentation de l’offre. Par exemple, des boissons fonctionnelles sont lancées avec des extraits botaniques (acérola, guarana, algues) riches en vitamines, fibres et antioxydants pour l’enrichissement nutritionnel.

Ce dynamisme se retrouve dans les chiffres du marché. En France, la part des protéines alternatives croît fortement. Selon AgriN News et The Good Food Institute, le marché français des « protéines végétales et alternatives » a atteint 648 millions d’euros en 2023, en hausse de 18 % depuis 2021. Les ventes de produits végétaux (boissons aux plantes, substituts de viande et de fromage) augmentent (par exemple +165 % pour les fromages véganes).

Globalement, le marché mondial des superaliments atteint près de 188 milliards de dollars en 2024 et devrait doubler d’ici 2032. Cette croissance est portée par des acteurs multiples, des géants de l’agroalimentaire (Danone, Nestlé, etc.) aux start-ups innovantes. En France, la filière agroalimentaire regroupe plus de 19 000 entreprises et transforme 70 % de la production agricole nationale. Dans ce tissu, l’enrichissement nutritionnel s’impose désormais comme une priorité stratégique pour allier santé et compétitivité.

Axes d’innovation

Technologies et procédés émergents

Les industriels explorent de nouveaux procédés pour l’enrichissement des aliments. L’extraction végétale (de pois, lupin, féverole, cameline, etc.) permet de concentrer protéines et fibres. La fermentation classique et de précision ouvre des voies inédites (micro-organismes, levures, insectes), tout comme la microencapsulation (enrobage des nutriments pour protéger leur stabilité ou masquer les goûts). Les biotechnologies (enzymologie, culture cellulaire) permettent de produire des ingrédients innovants.

Par exemple, la start-up Verley (ex-Bon Vivant, Lyon) exploite la fermentation de précision pour générer des protéines lactiques ultra-pures destinées à l’enrichissement (nutrition sportive, senior, médicale). Son ingrédient FermWhey Native contient 11 % de leucine en plus qu’un isolat de lactosérum standard et 50 % de plus qu’une protéine de soja. Il offre ainsi un profil nutritionnel très performant. Cette entreprise est plus précisément détaillée dans les exemples de cas innovants en fin d’article.

Vers une alimentation enrichie, durable et innovante

La recherche porte sur les protéines végétales alternatives (pois, blé, algues, micro-algues, insectes, etc.) et la fermentation de précision (protéines fermentées). Des entreprises multiplient les prototypes : Algama (Paris) valorise la micro-algue chlorelle comme source de protéines durable, Innovafeed et Ÿnsect produisent des protéines d’insectes à grande échelle et Verley commercialise des protéines de lactosérum fermentées.

Par ailleurs, des biotechs françaises lancent des protéines non animales par fermentation. Par exemple, Standing Ovation développe de la caséine fromagère obtenue par fermentation de levures, pour créer des substituts laitiers nutritionnellement complets. Ces avancées visent à répondre à la demande croissante de protéines tout en réduisant l’empreinte environnementale.

Les superaliments trouvent également des applications variées. La spiruline, cyanobactérie consommée en complément, est particulièrement riche : plus de 60 % de protéines de haute qualité et d’innombrables micronutriments (fer, bêta-carotène, oméga-3). Les fabricants l’intègrent dans des barres énergétiques, desserts glacés, smoothies. De même, la poudre de baobab (fruit d’Afrique de l’Ouest) séduit par sa teneur exceptionnelle en vitamine C (jusqu’à six fois celle de l’orange) et en calcium. On la retrouve dans des boissons et gelées enrichies, combinant goût acidulé et boost nutritionnel. D’autres ingrédients « ancestraux » (graines de chia, quinoa, moringa, baies d’açaï ou de goji) sont repris dans des snacks, biscuits ou boissons, pour leur densité en antioxydants et fibres. Ces innovations s’appuient sur des filières naissantes d’algues, plantes et microalgues cultivées spécifiquement pour l’alimentation.

Défis industriels et nutritionnels

Formuler des aliments enrichis reste néanmoins complexe. Les nutriments ajoutés doivent en effet demeurer stables (protection contre la chaleur, la lumière), ne pas altérer la texture ou la saveur (par exemple l’amertume de certains extraits), et s’incorporer sans sacrifier l’acceptabilité du produit. Le coût des ingrédients (exotiques ou issus de bioraffineries) peut être élevé, freinant leur adoption à grande échelle. D’un point de vue nutritionnel, la biodisponibilité des nutriments (quantité réellement absorbée) doit être démontrée. Le fer d’origine végétale est par exemple généralement moins bien absorbé que le fer héminique, et certains antinutriments peuvent limiter l’absorption des minéraux.

Les industriels doivent également doser précisément l’enrichissement pour éviter les carences (dose insuffisante) ou les surdosages (somme de différents produits enrichis). Enfin, toute allégation santé requiert des preuves cliniques solides pour respecter la réglementation européenne. Cela implique de financer des études sur les effets des aliments enrichis. Malgré ces défis, l’innovation continue de progresser pour offrir des solutions nutritionnelles optimisées aux consommateurs.

Appels à projets en cours du domaine

Appels à Projets nationaux

L’appel à projets « Résilience et capacités agroalimentaires 2030 », lancé par Bpifrance dans le cadre de France 2030, vise à soutenir les projets innovants renforçant l’autonomie, la durabilité et la souveraineté des filières agroalimentaires françaises.

Cet appel à projets est destiné à accompagner les transitions écologique, énergétique et numérique du secteur, tout en répondant aux vulnérabilités identifiées face aux chocs économiques ou géopolitiques.

Les projets peuvent être portés par une seule entreprise (monopartenaire), mais la constitution d’un consortium est vivement encouragée. Notamment pour les initiatives à fort impact ou de grande envergure. Le budget minimum requis est de 1 million d’euros.

Le financement proposé combine subvention et avance récupérable, selon la nature du projet et la taille de l’entreprise. Le taux d’aide varie entre 20 % et 40 %, avec des conditions plus avantageuses pour les PME.

Il n’est pas nécessaire d’effectuer un pré-dépôt. Une audition peut être organisée au cours de l’instruction pour les projets présélectionnés. Le dossier de candidature doit être déposé via la plateforme en ligne de Bpifrance, et comporter une présentation détaillée du projet : aspects techniques, modèle économique, impacts environnementaux et plan de financement.

L’appel à projets est ouvert jusqu’en 2026, avec deux relèves par an. Les prochaines dates de dépôt sont mises à jour sur le site officiel de Bpifrance.

Appels à Projets européens

L’Union européenne soutient également la recherche en nutrition durable via son programme Horizon Europe. L’appel à projets « HORIZON-CL6-2025-02-FARM2FORK-13 » soutient le développement et l’adoption de nouvelles sources de protéines alternatives dans l’alimentation humaine, tout en favorisant leur acceptabilité par les consommateurs européens.

Il cible les protéines innovantes : végétales (pois, fèverole, soja, algues), issues d’insectes, de levures, de micro-organismes ou produites par fermentation de précision. L’appel à projets met l’accent sur l’évaluation des bénéfices nutritionnels, la sécurité alimentaire, la durabilité environnementale et la perception sociétale de ces innovations.

Les projets attendus doivent démontrer la faisabilité technologique de nouveaux aliments ou ingrédients enrichis en protéines, explorer les barrières culturelles ou réglementaires à leur adoption. Ils doivent également proposer des outils de communication, transparence et éducation du consommateur. Enfin, ils doivent aussi intégrer des données sur la biodisponibilité, l’empreinte environnementale et les modèles économiques associés.

Le budget total s’élève à 12 millions d’euros, avec une contribution par projet autour de 6 millions d’euros. Le programme exige une approche multi-acteurs (chercheurs, entreprises agroalimentaires, ONG, nutritionnistes, associations de consommateurs). Les projets doivent viser un niveau TRL 6-7 en fin de programme (prototype validé dans un environnement pertinent).

Le dépôt des candidatures s’effectue via le portail Funding & Tenders de la Commission européenne. Cet appel à projets constitue une opportunité stratégique pour les industriels de l’agroalimentaire souhaitant développer des produits enrichis en protéines innovantes, dans un cadre éthique, durable et aligné sur les attentes sociétales.

Exemple d’un cas d’innovation probant

Verley, start-up lyonnaise fondée en 2022, se spécialise dans le développement de protéines laitières fonctionnelles extrêmement enrichies via la fermentation de précision. Leur gamme FermWhey propose des protéines fermentées aux profils nutritionnels optimisés. Notamment avec une teneur en leucine bien supérieure aux isolats classiques, idéales pour la nutrition sportive, senior et médicale. Ces protéines offrent une haute pureté et une grande stabilité, répondant aux besoins d’enrichissement ciblé des aliments. Grâce à cette technologie innovante, Verley produit des protéines laitières performantes et durables, avec un impact environnemental fortement réduit. L’entreprise vise un déploiement international, notamment sur le marché américain, pour répondre à la demande croissante en ingrédients nutritionnels enrichis et fonctionnels.

Algama, autre start-up française basée à Paris, valorise les micro-algues, notamment la chlorelle, pour créer des ingrédients fonctionnels substituts des protéines animales. Grâce à une expertise en bioraffinerie et formulation pâtissière, Algama a développé des alternatives permettant de remplacer totalement l’œuf dans des pâtes et sauces. Soutenue par une levée de fonds de 3,5 millions d’euros et une subvention Bpifrance, l’entreprise a lancé plusieurs produits B2B, dont « TheGoodSpoon », une mayonnaise végétale sans œufs, riche en protéines et fibres, commercialisée avec FoodingCompany.

Algama vise aussi d’autres segments comme les boissons énergisantes et la pâtisserie, offrant des ingrédients durables et nutritifs. Leur modèle B2B ouvre des perspectives dans la nutrition infantile, sportive et santé, tout en contribuant à la transition végétale. Ce succès illustre l’innovation française dans les superaliments et protéines alternatives, séduisant investisseurs et industriels.

Références bibliographiques

    • ANSES & Ministère de la Santé. (2023). Nutri-Score : calcul, effets consommateurs et reformulations.
    • Union européenne. (2012/2013). Réglementation encadrant l’enrichissement nutritionnel et les allégations santé.
    • Innova Market Insights. (2024). Tendances « superaliments » et R&D.
    • Innova Market Insights. (2024). 75 % des lancements 2024 portent une allégation santé.
    • The Good Food Institute & AgriN News. (2024). Rapport sur les protéines alternatives en France.
    • Fortune Business Insights. (2024). Superfoods Market.
    • (2017). Avis de l’Anses relatif aux risques relatifs à la consommation de compléments alimentaires contenant de la spiruline.

    Lectures associées 

    Transition agroécologique – Défis & perspectives pour les agroéquipementiers, les semenciers, les chimistes de la filière

    A grande échelle, la réalité de notre monde sera marquée par la hausse des bouches à nourrir qui dépassera les...

    Appel à projets Grands Défis « Soutenir l’Innovation dans la Stérilisation et la Conception de DM Respectueux de l’Environnement »

    L’appel à projets « Métaux critiques 2 », lancé dans le cadre du plan d’investissement France 2030, vise à réduire...

    Traitement de l’obésité : les innovations qui font pencher la balance

    L’obésité est une maladie chronique, évolutive et récidivante qui touche plus d’un milliard de personnes au niveau mondial. En France,...