Transition agroécologique – Défis & perspectives pour les agroéquipementiers, les semenciers, les chimistes de la filière

Par Pierre MARRION, Consultant Senior Mobilité & Transport

Contexte

A grande échelle, la réalité de notre monde sera marquée par la hausse des bouches à nourrir qui dépassera les 9 milliards à horizon 2050 (selon l’ONU). Afin d’identifier les voies à explorer, il existe des études prospectives à partir des données et tendances actuelles. Dans le dossier revue de l’INRAE, il est acté que progressivement, la combinaison de l’agroécologie, de la réduction des pertes et gaspillages et de l’adoption de régimes alimentaires plus équilibrés, associant plus de produits d’origine végétale et moins de produits carnés (au moins dans les pays développés), s’est imposée comme une piste pour résoudre l’équation alimentaire sans entraîner une croissance dommageable des surfaces de terre utilisées.

L’imbrication des questions montre la nécessité de penser de façon intégrée la transition des systèmes alimentaires, en englobant le rôle de l’usage des terres et en associant les questions environnementales et de santé. C’est dans ce sens que le Cirad et INRAE ont présenté en 2016 les résultats d’un travail collectif sur « l’usage des terres et la sécurité alimentaire en 2050 ». La prospective Agrimonde-Terra visait à identifier les leviers susceptibles d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition à l’échelle de la planète à l’horizon 2050.

Ce qui est intéressant dans cette approche et dans la cartographie ci-dessous, est que les scénarii imaginés varient selon les zones géographiques dites « saines ». Ce sont des zones où l’effort vers une alimentation plus équilibrée peut rentrer dans les mœurs et surtout là où cela devient possible grâce aux moyens mis en œuvre pour réussir la transition écologique. Quelle que soit la tendance à la hausse ou la baisse des régimes moyens, la part « fruits, légumes et céréales » est et restera supérieure à 50% voire 60% de l’alimentation. Donc l’agriculture est et restera le premier élément nourricier.

Source : « Comment nourrir la planète en 2050 ? » INRAE. Janvier 2023

Une politique agricole en transformation

Le déploiement en France de l’agroécologie est ainsi l’une des priorités depuis de nombreuses années (1990-2000). Cependant, nous ressentons une accélération depuis la mise en vigueur en janvier 2023 de la réforme de la politique agricole commune (PAC) et du plan national associé.

Dans un contexte où le secteur agricole doit faire face aux conséquences météorologiques liées au réchauffement climatique, mais aussi aux inégalités internationales en termes de réglementations sanitaires et économiques, il devient ainsi primordial d’œuvrer dans le sens d’une forme d’indépendance nationale et de soutenir toute la chaine de production agricole de la « ferme à l’assiette ».

Notre gouvernement (avec France 2030, sous le mandat d’Elisabeth BORNE, c’est plus de 2 milliards d’euros investis pour la transition agricole, dont 450 millions d’euros pour une alimentation saine et durable) et les institutionnels de la filière agricole s’accordent sur la même ligne de conduite à adopter pour réussir ensemble cette révolution agricole. Cependant, la maîtrise des capacités de production des exploitations agricoles à court et long terme passent par plusieurs défis majeurs et se résument en 3 grandes questions :

  • Comment assimiler toutes les fluctuations réglementaires et normatives européennes au sein de la chaine agricole, quand d’autres pays n’appliquent la même sévérité d’application ?
  • Comment maintenir un savoir-faire solide et transmissible de génération en génération sur le travail de la terre, de l’animal et du végétal ?
  • Comment permettre aux agro-équipementiers, aux semenciers, aux nutritionnistes pour animaux, aux chimistes de la filière de poursuivre leurs travaux de recherche afin de se différencier technologiquement ?

Un maillon essentiel mais encore fragile dans la structuration de la filière

Fort du constat exprimé dans le rapport, même si techniquement les exploitations agricoles sont des sociétés à part entière qui ont les mêmes droits fiscaux et pourraient prétendre à des dispositifs d’aides et de financement, celles-ci ne possèdent pas de direction financière, ni de direction fiscale ou ni de bureau d’études comme les industriels pour bénéficier de savoir-faire sur les nouveaux métiers de l’Agriculture d’aujourd’hui et de demain. Elle transmet le savoir-faire de la terre, mais éprouve des difficultés à évoluer, à rester compétitrices en innovant technologiquement, fonctionnellement et socialement.

Comment assimiler toutes les fluctuations réglementaires et normatives européennes au sein de la chaine agricole, quand d’autres pays ne les appliquent pas avec la même rigueur ?

Le Dossier Revue très récent de l’INRAE explique très clairement le contexte actuel. Depuis le début des années 2000, l’Union européenne a intensifié la conclusion d’accords commerciaux pour réduire les droits de douane entre États afin de favoriser les échanges et faciliter la reconnaissance des normes et des indications géographiques protégées. Côté produits agricoles et agroalimentaires, les retombées se sont avérées positives, à l’instar de l’accord signé avec la Corée du Sud (la part des 27 membres de l’UE dans les importations sud-coréennes a sensiblement augmenté dans la dernière décennie, soit 13 % en 2023 contre 8 % en 2011) ou de celui signé avec le Canada (seulement 1,7 % des importations européennes de produits agricoles en 2022 proviennent du Canada).

On comprendra assez facilement que les accords de libre-échange comme celui avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay + pays associés) pourraient à l’avenir avoir des conséquences négatives. En particulier parce que le Brésil représente déjà 10 % des importations de produits agricoles européens mais n’est destinataire que de 1 % des exportations de l’Union européenne (constant début 2024).

Un cadre réglementaire difficilement applicable sur le terrain

Les exploitations qui s’en remettent aux sphères gouvernementales sur ce point, ne peuvent être actrices pour faire avancer les choses. Les modèles règlementaires sont difficiles et longs à intégrer dans les exploitations. A titre d’exemple, les aspects phytosanitaires sont très stricts en Europe quant à la manipulation, au stockage, au dosage, ou encore à la composition même des produits. En revanche,  hors Europe, les limitations sont parfois inexistantes. Certains pays étant en effet dans l’incapacité de contrôler cela. Cela implique pour les agro équipementiers de concevoir des systèmes étanches ergonomiques et protégés pour l’agriculteur (appelé incorporateurs), dans un second temps, le pulvérisateur doit intégrer des systèmes de régulation toujours plus fins pour passer les aspects normatifs de pulvérisation aux champs.

En synthèse, à l’image du projet européen BATModel porté par l’INRAE entre 2020 et 2024, cette initiative a permis de développer des modèles commerciaux à même de guider les politiques publiques vers une durabilité accrue et une compétitivité renforcée des filières agroalimentaires européennes. Ils offrent aux décideurs les outils nécessaires pour évaluer les enjeux grandissants du commerce agroalimentaire transfrontalier dans lesquels les accords commerciaux jouent un rôle majeur.

Comment maintenir un savoir-faire transmissible et solide de génération en génération sur le travail de la terre, de l’animal et du végétal ?

Selon l’ANEFA, le marché français de l’agroéquipement a connu une forte croissance au cours des dernières années. En 2022, il a atteint un chiffre d’affaires de 34 milliards d’euros, dont 15,2 milliards pour les constructeurs, 13,5 milliards pour la distribution, 670 millions pour les CUMA et 4,4 milliards pour les ETA. Cette croissance est portée par plusieurs facteurs :

  • La hausse des prix des matières premières, qui pousse les agriculteurs à investir dans des équipements plus performants et plus efficients.
  • L’évolution des normes environnementales, qui oblige les agriculteurs à investir dans des équipements plus respectueux de l’environnement.
  • Le développement de nouvelles technologies, telles que l’agriculture de précision, qui permettent aux agriculteurs d’améliorer leur productivité et leur rentabilité.

Avec 100 000 emplois directs et indirects, le secteur contribue de manière significative à l’économie. Les exportations (13 milliards) et importations (11 milliards) soulignent une présence internationale marquée. Malgré une croissance en 2022, des défis tels que la concurrence internationale et l’incertitude économique se profilent dès 2023.

Le secteur de l’agroéquipement et du machinisme en agriculture propose de nombreuses opportunités pour les jeunes en orientation et les personnes en reconversion professionnelle.

Des compétences à transmettre, des métiers à promouvoir

Au niveau d’une exploitation agricole, en voici quelques-uns très recherchés ci-dessous. Pour accéder à ces métiers, différentes formations sont disponibles : BTS Agricole, DUT Génie Biologique option Agronomie, ou encore Ecoles d’ingénieurs agronomes.

Le / la technicien-ne en machinisme agricole

Le technicien en machinisme agricole occupe une place cruciale dans l’industrie. Responsable de la maintenance, de la réparation et de l’installation des équipements, il doit maîtriser les dernières technologies pour garantir le bon fonctionnement des machines agricoles.

L’ingénieur-e de Production Agricole

Les ingénieurs de production agricole jouent un rôle essentiel dans le développement et l’optimisation des procédés de fabrication des équipements agricoles. Ils collaborent avec des équipes multidisciplinaires pour concevoir des machines innovantes répondant aux normes environnementales et aux besoins des agriculteurs.

L’expert-e en Agriculture de précision

Au cœur des avancées technologiques, les experts en agriculture de précision exploitent les données pour maximiser l’efficacité des exploitations. Leur rôle consiste à intégrer des technologies telles que la télédétection, les capteurs, et les drones pour améliorer la productivité tout en réduisant l’impact environnemental.

Le / la technico-commercial-e en agroéquipement

Les technico-commerciaux sont les ambassadeurs des équipements agricoles. Ils conseillent les clients sur les solutions les mieux adaptées à leurs besoins, tout en développant des relations durables avec les agriculteurs et les distributeurs.

Des profils techniques recherchés chez les industriels

Au niveau des agro équipementiers, voici quelques profils recherchés chez les industriels du machinisme ou les industriels de la chimie.

L’ingénieur-e conception en bureau d’études

Avec l’objectif de développer de nouveaux produits de modéliser les solutions de l’avant-projet, concevoir et dimensionner les solutions retenues, réaliser les dossiers de plans, pièces et assemblages pour le prototype, participer au montage et à la mise au point des prototypes. Il est nécessaire d’avoir des compétences en conception mécanique, en hydraulique, en électronique et en robotique.

L’ingénieur-e Agronome en Production de Semences

Il a pour mission de produire les semences tout au long du processus de sélection du programme tout en respectant un cahier des charges concernant la qualité, la quantité et les délais. L’équipe de production de semences au champ est responsable de délivrer des semences d’hybrides à nos partenaires clefs de l’expérimentation et de la production commerciale (Semis et suivi de culture, Observations et collecte de données, Gestion des floraisons, Récolte, Préparation des semis, Projets d’implémentation de nouvelles technologies)

Le / la laborantin-e

Egalement appelé(e) technicien(ne) de laboratoire en agroalimentaire, il est un professionnel spécialisé dans la microbiologie et la chimie. Il analyse les produits à tous les instants de la chaîne de production, il s’emploie à vérifier qu’ils répondent bien aux normes qualité et à l’environnement microbiologique de l’entreprise. Il gère l’entretien et l’installation du matériel de laboratoire. Il se charge de collecter et de préparer les prélèvements avant de mettre en œuvre des tests standardisés.

En synthèse, même s’il existe de plus en plus de formations en chimie, en mécanique ou en biologie spécialisées et orientées vers le secteur agricole en vue de voir émerger les futurs experts qui relèveront les défis technologiques du secteur, ces profils expérimentés et compétences sont difficiles à trouver et nécessitent souvent le support de professionnels du recrutement / placement. Faites-vous aider !

Comment soutenir financièrement les acteurs clés de la filière dans la poursuite de leurs travaux de recherche afin de se différencier technologiquement tout en visant la neutralité carbone ?

La différenciation technologique passe par la capacité à développer de nouvelles briques technologiques, de nouveaux savoir-faire au profit des cultures et des animaux, de nouvelles approches en termes de réduction de l’impact carbone. De manière générale, les grands axes de R&D et d’innovation portent sur les axes suivants :

La robotique agricole

Comme présentée par le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, et identifiée comme l’un des piliers de la troisième révolution agricole, aux côtés du numérique, du biocontrôle et de la sélection variétale, la robotique est porteuse de grandes promesses pour aider le secteur à relever les défis qui l’attendent. Parmi eux, la limitation de la consommation d’intrants chimiques, la réduction de l’impact sur les sols, l’allègement de la charge de travail pour les agriculteurs, amélioration du bien-être animal dans les élevages… Elle sera ainsi l’une des clés pour la transition vers l’agroécologie. Et si de nombreux défis demeurent – fiabilité, sécurité –, la robotique est déjà une réalité sur le terrain.

Les plantes biotech et les techniques de  semis direct

Grâce à la culture des plantes biotech, les techniques de semis direct (sans labour) permettent de réduire le travail du sol. Et donc de modérer le tassement des sols par les engins. Cela diminue la consommation d’énergies fossiles et les émissions de gaz à effet de serre. Les cultures sont aussi plus résistantes aux parasites et aux maladies permettant de réduire l’impact phytosanitaire avec les fertilisants ou les pesticides.

L’agriculture de précision

L’amélioration des rendements des exploitations, en améliorant et en optimisant chaque étape du processus agricole, du semis à la récolte. L’arrivée du numérique a permis l’avènement de l’agriculture de précision en amenant une agriculture connectée, géolocalisée et monitorée. Les agriculteurs peuvent désormais se reconcentrer sur le travail de la terre et des animaux (meilleure gestion de la pulvérisation, meilleure gestion des adventices et des parasites).

Les drones

L’assistance au quotidien par des drones agricoles permet la surveillance et l’analyse des exploitations de bétail et des champs de culture. L’analyse quantitative (localisation bétail) ou qualitative (analyse fractale pour la pulvérisation) sont désormais accessibles et complétées par des relevés photogrammétriques, des mappings, des modélisations numériques de terrains, ou encore des photographies aériennes.

Les capteurs de sol

L’analyse des sols grâce aux capteurs de sol permettant de sonder la terre et d’y mesurer toutes sortes de grandeurs : humidité, salinité, température, densité/compaction du sol.

L’hydroponie

Les nouveaux modes de culture comme l’hydroponie qui permet de directement injecter les nutriments aux plantes par des systèmes d’irrigation des racines, sans plantation en terre.

Des dispositifs de financement mobilisables par les acteurs de la filière

Tous ces axes de recherche et d’innovation peuvent être soutenus par les dispositifs du CIR et du CII (désormais prolongé jusqu’en 2027 à l’issue de la publication de la Loi de Finances du 15 février 2025). En effet, ces deux dispositifs fiscaux sont par évidence plus structurant pour l’entreprise qu’un simple effet d’aubaine à récupérer des crédits d’impôt. Ils viennent grâce à une vision long terme s’inscrire dans une démarche de réduction du coût de la R&D et l’Innovation, et asseoir les feuilles de route stratégiques des acteurs de la filière.

En outre, lorsque ces mêmes acteurs souhaitent prendre une position de précurseur dans leur domaine, ces feuilles de route technologiques sont la clé de voute de réflexions pour aller chercher le support financier auprès des guichets publics régionaux, nationaux et européen.

A titre d’exemples, plusieurs dispositifs (non exhaustifs) intéresseront particulièrement les agro-équipementiers, les semenciers, les nutritionnistes, les chimistes de la filière. Un échange avec nos experts permettra de cibler ceux uniquement éligibles aux PME.

Dispositifs régionaux 

Guichet Date Dépôt
Agri-Invest Investissements productifs Région 31/12/2025
Transformation des produits de la pêche et de l’aquaculture Région 31/12/2025
Soutien aux activités de transformation de produits agricoles Région 31/12/2027
Modernisation, développement des produits de la pêche et de l’aquaculture Région 31/12/2029
Soutien à l’investissement en transformation et commercialisation des produits de la pêche et de l’aquaculture Région 31/12/2029

Dispositifs nationaux :

Guichet

Date Dépôt

Financement des prototypes de technologies agricoles innovantes Bpifrance 28/04/2026
Structuration de filières – PAM FranceAgriMer 31/12/2025
Projets territoriaux filières légumineuses FranceAgriMer 31/12/2025
Modernisation, développement et adaptation des activités aquacoles FranceAgriMer 31/12/2025
Pêche et aquaculture – Transformation (Régions continentales uniquement) FranceAgriMer 31/12/2025
Matériels d’agroéquipements contribuant à la transition agroécologique pour les Outre-mer FranceAgriMer 31/12/2025

Dispositifs européens

Guichet Date Dépôt
HORIZON-CL6-2025-02-FARM2FORK Horizon Europe 04/09/2025
HORIZON-CL6-2025-02-CLIMATE Horizon Europe 12/09/2025

Conclusion

La transition agroécologique n’est pas nécessaire, elle est impérative à ce jour pour laisser aux générations futures une agriculture performante et durable. Adopter de nouvelles démarches demande de bousculer les habitudes et parfois de changement profond. Si nous soutenons l’innovation, c’est pour qu’elle est à terme un impact positif sur le travail de la terre. Afin que l’agriculteur puisse cultiver du bon et du sain dans des conditions décentes. Les gouvernements de la plupart des pays vont dans ce sens, mais ne nous y trompons pas, il reste encore de nombreux défis technologiques, humains, culturels mais aussi sociétaux pour atteindre une transition agroécologique juste et partagée par tous sur la scène internationale.

Références bibliographiques


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