La Loi de Moore favorise-t-elle l’innovation technologique ?

Le 27 janvier 2022

La loi du docteur Moore date des années 1960-70. Pourtant, elle semble rester encore une référence dans l’approche des développements des géants informatiques. Alors est-elle vraiment obsolète ? Sur quoi se base-t-on aujourd’hui ? Focus sur une théorie qui a conditionné plus de 50 ans d’avancées et d’innovations technologiques.

Définition

Au départ, la loi de Moore est une théorie avancée par le docteur Gordon Moore, co-fondateur de la société Intel. Il avance en 1965 que le nombre de transistors sur une puce de silicium de même taille allait doubler tous les ans. Finalement, il revoit ses calculs et affirme en 1975 que ce doublement interviendra tous les dix-huit mois à deux ans. Il avance le postulat que la puissance des ordinateurs allait être exponentielle.

Cette idée qui à l’époque pouvait sembler farfelue s’est vérifiée au fil des années. En 1997, il a même affirmé que cette croissance devrait se terminer vers 2017, année où les composants des processeurs devraient atteindre la taille de l’atome.

Fonctionnement

La Loi de Moore favorise-t-elle l'innovation technologique ? 1Pour affirmer une telle théorie, Gordon Moore s’est basé sur le fait que le coût des transistors réduisait selon leur nombre. En parallèle, la taille des composants réduisait au fil des développements ce qui permettait d’augmenter leur nombre dans une solution.

Ainsi, c’est de cette manière que le marché de l’électronique a peu à peu évolué vers des ordinateurs plus petits, plus performants et moins chers grâce à cette loi de Moore.

Impact de la loi

Même si les technologies auraient évolué avec ou sans la loi de Moore, il est évident que cette théorie a permis d’établir un plan sur le long terme pour les développements électroniques. Comme un fil conducteur, cela a permis de structurer toute l’industrie autour de cette dynamique d’un développement plus performant environ tous les deux ans. C’est ce qui explique l’essor de ce secteur depuis plus de 50 ans.

Aspect critique

En revanche, cette loi a aussi été source de critique. Elle renvoie inconsciemment l’image qu’un appareil électronique va rapidement devenir dépassé et obsolète sur le marché. Cela pousse à la surconsommation et génère rapidement de nouveaux déchets à traiter.

La croissance ultrarapide du secteur de la microélectronique n’a, également, pas permis à toutes les entreprises de suivre la cadence des évolutions. Cette dynamique a précipité la fin de sociétés comme BlackBerry qui a dû réorienter ses services et sa production.

Domaines concernés

Au-delà du domaine de l’informatique et de la production d’ordinateurs, la loi de Moore a eu une résonnance dans plusieurs autres domaines électroniques :

  • Les téléphones et les montres connectées,
  • L’aérospatial,
  • Les jeux vidéo,
  • L’industrie pharmaceutique,
  • La blockchain,
  • Le transport,
  • Et aussi, la météorologie.

Pourquoi devient-elle obsolète ?

La loi de Moore, comme l’avait évoqué son créateur, arrive à la fin de son application. La croissance des transistors a fortement ralenti et devrait bientôt s’essouffler. Ce déclin s’explique par le fait que l’industrie arrive aux portes des limites physiques du silicium.

En effet, tous les développements qui régissaient la loi de Moore portaient sur l’utilisation du silicium. Or, les puces à silicium ont une limite infranchissable de l’ordre de deux à trois nanomètres. Cette limite devrait être atteinte cette année 2022.

Des problèmes de coût, trop importants sur une technologie de miniaturisation très précise, sont aussi en jeu. La miniaturisation des solutions implique aussi des problématiques autour de la dissipation thermique et des risques de surchauffe accrus. Ainsi, cela n’attire plus les entreprises d’utiliser uniquement du silicium comme composant principal de leurs solutions électroniques.

Qu’est-ce qui la remplace aujourd’hui ?

Le déclin de cette loi ayant été annoncé, la transition a été anticipée et l’industrie s’appuie notamment sur d’autres technologies. On note l’émergence de l’intelligence artificielle ou de l’ordinateur quantique par exemple.

Certains constructeurs ont également décidé de ne plus du tout suivre les règles de la loi de Moore et du silicium. Pour cela, ils ont recours à des microprocesseurs avec de nouveaux composants. C’est le cas de la société ARM qui développe des processeurs intégrés dans des systèmes de puces complets (System-on-Chip).

Aujourd’hui, les architectures ARM ont tendance à être préférées par certains acteurs de l’industrie électronique car il s’agit d’architectures à faible consommation en électricité. C’est un avantage indéniable pour les systèmes embarqués comme les smartphones.

More than Moore

La continuité de la loi de Moore serait donc ce qu’on appelle le « More than Moore ». Une nouvelle approche et une nouvelle vision des développements qui ne consisteraient pas à réduire la taille des solutions électroniques mais plutôt de les utiliser différemment. C’est notamment l’introduction des nanotechnologies où les composants seront directement de l’ordre du nanomètre sans besoin de miniaturisation.

Le « More than Moore » aborde aussi l’intégration de plusieurs fonctions sur une même puce. L’idée est de conserver la taille définie pour la puce mais de lui ajouter d’autres caractéristiques. C’est le cas par exemple

  • des technologies CMOS (calcul et mémoire),
  • RFID (radiofréquence pour transmission de données),
  • ou des microsystèmes (MEMS, collecte de données dans l’environnement).

L’idée de la loi de Moore partait de l’évolution de la technologie pour développer des solutions adaptées à cette augmentation de puissance et de capacité. Le « More than Moore » inverse cette vision des choses en partant des besoins de l’application (par exemple d’un téléphone) et oriente son développement et les solutions techniques pour y répondre.

De cette manière, la dimension écologique et un développement plus durable des solutions peuvent être remis au cœur des discussions lors du développement d’un nouveau produit. Cela était devenu impossible en suivant la logique de la loi de Moore.

Et si elle n’était pas finie ?

À l’heure d’une réelle transition dans ce domaine de l’électronique, Intel vient d’annoncer en fin d’année 2021 que la loi de Moore n’était pas réellement terminée. Le leader du marché sur les processeurs à base de puce silicium a dévoilé ses ambitions pour les années à venir.

Après avoir ralenti son rythme depuis plusieurs années, le CEO de ce géant a indiqué qu’Intel devrait suivre la logique de la loi de Moore avec des doublements de densité tous les deux ans. Pour cela, Intel souhaite accélérer son rythme de gravure avec une lithographie de plus en plus fine. Là où tout le monde s’entend sur la fin de cette loi, Intel veut protéger sa théorie et continuer d’innover sur le terrain du silicium.

Pour cela, le recours à de nouvelles technologies s’impose. Le passage à l’ultraviolet extrême (EUV) pour la gravure est la première clé. La deuxième clé est son évolution : le High-NA EUV, une deuxième génération de gravure EUV plus performante. D’autres innovations portent sur un nouveau modèle de transistor (RibbonFET), un nouveau système d’alimentation par l’arrière et la verticalité des solutions.

Conclusion

Vous l’aurez compris, la loi de Moore n’est pas réellement terminée. Elle se trouve surtout dans une phase de transition et d’évolution que l’industrie électronique expérimente.

Plusieurs solutions se dessinent. Plusieurs approches voient le jour. Et les innovations sont toujours au rendez-vous, que ce soit pour des processeurs complètement différents comme les processeurs ARM, ou pour les techniques de gravure comme l’a annoncé Intel.

Les recherches sont constantes et tous les acteurs du domaine s’activent pour essayer de trouver de nouveaux composants et de nouvelles matières « miracle » afin de trouver des solutions aussi pérennes que le silicium.

Alors la loi de Moore, ou le « More than Moore », est-elle en transition ? Est-ce juste une simple évolution comme le pense Intel ? L’année 2022 devrait représenter un vrai tournant dans cette industrie. Une seule chose est certaine, l’enjeu va se jouer sur cette décennie.

La 5G : entre mythes et réalités 1

Léa GOUX
Rédactrice scientifique
ABGI


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